9 mai 2002 |
Paradoxe: jamais les filles n'ont si bien réussi à
l'école. Pourtant, elles brillent encore par leur absence
dans plusieurs domaines d'études scientifiques, notamment
en génie, en informatique ou en physique. Claire Deschênes,
professeure au Département de génie mécanique
et titulaire de la Chaire CRSNG/Alcan pour les femmes en sciences
et génie au Québec, a profité du récent
Salon international du livre de Québec pour tirer ce mystère
au clair, en compagnie de spécialistes des différents
niveaux d'apprentissage, du primaire à la recherche universitaire.
Si les filles adorent l'école et y collectionnent les meilleures
notes dès les premières années, elles semblent
aussi démontrer une grande préoccupation face à
l'avenir et à leur future profession, et ce, dès
la cinquième année du primaire, selon la thèse
de doctorat rédigée par Claudette Gagnon, enseignante
à la Commission scolaire des premières seigneuries.
Performantes, compétitives, conscientes de la reconnaissance
sociale que leur apporte la réussite scolaire, ces écolières
modèles hésitent par contre à opter pour
les sciences lorsqu'il s'agit de choisir un secteur d'études
au cégep.
"Les filles ont beaucoup d'anxiété, de doutes
face aux sciences, explique Odette Garceau, conseillère
en orientation au cégep de Sainte-Foy. Elles s'interrogent
beaucoup sur leurs capacités, tandis que les garçons
ont plutôt tendance à avoir trop confiance en eux,
ce qui peut occasionner des échecs." Selon elle, les
étudiantes qui suivent les programmes scientifiques au
cégep déplorent souvent l'esprit de compétition
qui y règne, car elles rechercheraient davantage la collaboration
et l'amitié. L'état de tension continuelle que vivent
les filles en sciences au collège les ferait souvent hésiter
à poursuivre dans cette branche à l'université,
à en croire la conseillère en orientation. D'autant
plus que, bien souvent, les étudiantes appréhendent
déjà les difficultés à concilier travail
et famille que pourraient poser les carrières en sciences
ou en informatique.
Un univers masculin
L'autre frein au choix d'une formation scientifique viendrait
du manque de confiance qu'éprouvent les filles envers les
acquis techniques. "L'univers technologique leur paraît
très masculin", indique Odette Garceau. Une perception
apparemment endossée par la famille, comme l'indique l'étudiante
Marie-Sophie Tremblay, que ses parents voyaient davantage en santé
qu'en génie physique, même si c'est ce dernier domaine
qu'elle a finalement choisi. "Les filles en génie
ont beaucoup de caractère, elles répliquent du tac
au tac aux garçons, raconte-t-elle, ce sont des battantes."
Minoritaires au sein de la classe, les étudiantes ont tendance
à se regrouper pour leurs travaux et à faire preuve
d'une forte solidarité pour affronter les études
dans ce domaine. Une attitude qui perdure apparemment dans leur
carrière professionnelle.
Isabelle Fortier, professeure à l'École nationale
d'administration publique, a été frappée
par le goût de se démarquer qu'affichent les ingénieures
en gestion qu'elle a interrogées: "Souvent, elles
ont choisi le génie par défi, parce que leur entourage
disait que les femmes n'étaient pas bonnes en sciences."
Pourtant, même ces femmes qui poursuivent leur carrière
avec succès disent souffrir d'un manque de compétence
technique. Cette perception assez étonnante indique peut-être
la nécessité d'approfondir encore les raisons susceptibles
d'expliquer le manque de femmes en sciences. Le Fonds québécois
de la recherche sur la nature et les technologies entend d'ailleurs
creuser la question.
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