9 mai 2002 |
La mondialisation n'a pas vraiment la cote dans les milieux
intellectuels. Mais encore faut-il s'entendre sur ce que cache
cette hydre aux multiples têtes, que d'aucuns considèrent
aussi inexorable que la pression atmosphérique ou le principe
d'Archimède. La Chaire publique de l'Association des étudiantes
et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures
(AELIÉS) a donc profité du Salon international du
livre de Québec pour tirer la chose au clair. Les trois
invités de ce qui se voulait le dernier débat de
l'année de l'Association, Jacques Rigaud, Florian Sauvageau
et Luc Archambault, devaient répondre à la question
suivante: "Mondialisation, McCulture ou diversité?"
La réponse la plus optimiste à cette interrogation
a peut-être été fournie par le doyen du débat,
Jacques Rigaud, conseiller d'État honoraire en France,
très versé dans les dossiers culturels. "La
mondialisation, cela peut être formidablement positif pour
la conscience universelle, explique l'ancien président
de RTL-radio, lorsque la terre entière réagit rapidement
aux événements comme les attentats du 11 septembre."
Et de citer des valeurs planétairement répandues
comme les Droits de l'Homme et la démocratie, qui constituent
à ses yeux le bon côté de la mondialisation.
Florian Sauvageau, du Centre d'étude sur les médias
de l'Université Laval, abonde dans le même sens lorsqu'il
souligne l'apport du métissage en matière culinaire
et artistique. Plus besoin désormais de se rendre à
Bali pour apprécier la cuisine indonésienne, ou
de fréquenter les plages de Bahia pour vibrer au rythme
de la salsa.
Le danger des modèles
Florian Sauvageau souligne cependant du même souffle
les craintes de nombreux opposants à la mondialisation
face au déferlement sur le marché de produits culturels
standardisés made in USA. "Pour ma part, c'est surtout
l'adoption des modèles commerciaux culturels américains
qui m'inquiète, précise-t-il, ainsi que la concentration
croissante des médias et le déclin d'un service
public comme Radio-Canada depuis quinze ans." Le professeur
au Département d'information et de communication indique
ainsi que les pouvoirs publics ont peut-être applaudi un
peu trop rapidement à la constitution de groupes de communication
nationaux, capables de lutter contre l'influence américaine,
qu'il s'agisse de la création du géant français
Vivendi Universal, du rachat par Quebecor de TVA et de Vidéotron
ou de la naissance de BCE.
"Avec la démission de Jean Monty, le dirigeant de
BCE, le réveil a été brutal, rappelle Florian
Sauvageau. De toute façon, ces groupes sont de moins en
moins nationaux: 40 % du chiffre d'affaires de Vivendi se fait
aux États-Unis." Florian Sauvageau remet également
en question le principe de synergie qui permet à un seul
journaliste de traiter d'un même événement
à la télévision, sur Internet, dans la presse
écrite, car cela réduit comme peau de chagrin la
diversité des sources d'information. Et de citer Can West,
qui impose désormais un éditorial unique à
ses quotidiens dans treize ville canadiennes, sur certains sujets
choisis par la direction.
Le rouleau compresseur de la mondialisation n'a pas que des effets pervers
Non à l'uniformisation
Jacques Rigaud s'inquiète lui aussi de ce rouleau compresseur,
qui impose à tous et chacun une vision unique de la culture.
"Je refuse l'uniformisation, explique-t-il. Nous qui, en
Europe, vivons au quotidien avec l'héritage des Grecs,
des Latins, de l'Égypte, d'Israël, possédons
un art dont les formes ont un rapport avec le sacré. De
plus, contrairement aux pays anglo-saxons où la pratique
de la culture est considérée comme privée,
la culture en Europe relève de l'espace public et implique
le soutien de l'État, même si c'est une affaire de
choix individuel."
Prenant le contre-pied de cette assertion, le peintre, sculpteur
et performeur Luc Archambault clame sur la même tribune
que "l'artiste se fout de la culture" et que l'État
n'a pas à se mêler du développement de l'art.
Cet artiste, qui a bien du mal à survivre de sa création,
s'emporte en fait contre un phénomène pernicieux:
la transformation des créateurs en enseignants. En poussant
les artistes vers l'enseignement plutôt que de soutenir
un réseau décent de distribution de l'art, on les
empêche selon lui de produire. Privés d'un marché
artistique conséquent, les créateurs offriraient
un art invendable, exposé dans des galeries pour la plupart
subventionnées, qui ne recherchent pas des acheteurs potentiels.
Voilà pourquoi Luc Archambault réclame des mesures
concrètes capables d'aider des artistes vivants à
exprimer enfin leur créativité devant le public.
Un appel qui ne laisse pas Jacques Rigaud indifférent,
lui qui préconise une attitude positive pour défendre
la culture vivante. Plutôt que d'interdire Walt Disney ou
les jeux vidéos aux enfants, il suggère aux parents
de les emmener le plus souvent possible au cirque, au concert,
au théâtre, pour un contact avec "la prodigieuse
imperfection de la vie et sa magie". "Vivons la culture,
fréquentons la culture!", propose cet éternel
jeune homme en guise de conclusion.
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