25 avril 2002 |
Lorsque les populations de lemmings sont élevées,
le succès reproducteur de l'oie des neiges se porte à
ravir. Lorsque les lemmings tirent de la patte, les oies écopent
à leur tour. Influence de la pleine lune, des hautes marées
ou d'un phénomène cosmique occulte réglant
la grande horloge de la nature? Rien de tout ça, répondent
des chercheurs du Centre d'études nordiques dans le numéro
de janvier de la revue Journal of Animal Ecology. Si le
succès reproducteur des oies suit les hauts et les bas
des lemmings, c'est tout simplement que ces compagnons d'infortune
partagent les mêmes prédateurs. Les vulnérables
petits rongeurs serviraient en quelque sorte de paratonnerre aux
oies face à leurs assaillants pendant la saison de reproduction
dans l'Arctique canadien.
Joël Bêty et Gilles Gauthier, du Département
de biologie, et leurs collègues Erkki Korpimaki de Finlande
et Jean-François Giroux de Montréal ont observé,
pendant quatre ans, le comportement des prédateurs sur
les aires de reproduction de l'oie des neiges sur l'Île
Bylot. Premier site en importance pour la reproduction de cette
espèce, Bylot accueille 25 000 couples, soit un garde-manger
potentiel de 100 000 oeufs pendant l'été! Dans le
Nord canadien, qui dit basse-cour de cette envergure et pareille
foison d'oeufs dit renard arctique, et, à un degré
moindre, labbe parasite, goéland bourgmestre et grand corbeau.
Ça brasse dans la toundra
Le bilan des 384 longues heures passées dans une cache
à observer la vie qui bat dans la colonie se chiffre à
2431 visites de prédateurs. Ça brasse dans la toundra!
Entre 1994 et 2000, les lemmings, réputés pour leurs
fluctuations d'effectifs en profil de montagnes russes, ont traversé
deux cycles d'abondance. La superposition des données de
prédation et d'effectifs des lemmings dégage un
portrait clair de la situation: lorsque le cours du lemming plonge,
les renards se rabattent sur les oeufs des oies. Cependant, ces
dernières défendent chèrement leur nid, même
contre un mammifère de la taille du renard. Seulement 21%
des attaques du canidé contre les nids sont réussies.
Contre les lemmings, ce taux atteint 92%, ce qui explique pourquoi
les renards en font leur plat de prédilection. Bon an mal
an, en fonction de l'abondance des lemmings, les prédateurs
prennent entre 19% et 88% des oeufs produits dans l'ensemble de
la colonie.
L'apparent coussin protecteur que procurent les lemmings aux
oies cache un revers: l'abondance des lemmings favorise la multiplication
du renard, ont noté les chercheurs. Résultat: le
nombre de prédateurs augmente pendant la saison haute du
lemming, mais lorsque le rongeur s'éclipse, les oies en
prennent pour leur rhume! "Notre étude est l'une des
premières à démontrer l'existence d'effets
indirects positifs à court terme et négatifs à
long terme, engendrés par des prédateurs communs,
sur une communauté arctique, signale Gilles Gauthier. Au
cours des dernières décennies, l'existence d'une
proie alternative aussi abondante que l'oie des neiges a sans
doute favorisé le maintien de populations élevées
de renard arctique, ce qui en retour à un effet sur les
populations de lemming. Autrement, l'abondance des renards aurait
suivi les fluctuations du lemming."
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