25 avril 2002 |
Quelques années après avoir cédé
son rôle de doyen de la Faculté des lettres, Jacques
Desautels approfondit cet heureux défi qui l'a fait écrivain,
au grand plaisir de nombreux lecteurs. Cette fois par contre,
il en surprendra plusieurs parmi ceux qui goûtaient ses
assortiments d'érudition et de fantaisie. Car son nouveau
roman, en plus de cerner un environnement beaucoup plus familier,
raccourcit drastiquement la distance entre l'auteur et son propos.
Dans un Québec des années 1930-40 ayant déjà
fait l'objet de nombreuses oeuvres littéraires, c'est donc
la psychologie d'un jeune adulte qu'aurait très bien pu
être Jacques Desautels qui nous occupe, au long de ces quelque
trois cent cinquante pages.
Le quatrième roi mage, un premier roman publié
en 1993 et qui avait mérité à son auteur
les prix Robert-Cliche et Molson, semblait pourtant annoncer une
sorte de disciple d'Umberto Eco, dont l'intrigue vénitienne
était irriguée d'une connaissance aussi encyclopédique
que sensible. Puis La dame de Chypre, en 1996, l'avait
vu reculer son objectif jusqu'à une dizaine de siècles
avant Jésus-Christ, bien qu'on s'y rapproche de l'humain
singulier avec la lutte du roi David contre la baisse de son désir
sexuel. Aujourd'hui, avec Rue des Érables (L'Hexagone),
on croirait presque avoir affaire à un tout autre écrivain,
plus proche du quotidien que du domaine épique : exit
le pittoresque issu de l'histoire de l'art et de la mythologie,
puisque c'est le quotidien d'une famille bourgeoise du Québec
qui est dépeint, sur une rue située non loin d'où
l'auteur passe ses hivers depuis une douzaine d'années.
Une chronique sociale
" C'était une question de goût, déclare
le monsieur à propos de ce changement de lentille. J'ai
toujours au moins deux romans qui marchent en même temps.
J'en avais un qui continuait dans la même 'tradition' historique
que les deux premiers, et celui-là, qui me hantait un peu,
qui me tentait beaucoup, et qui me paraissait un beau défi.
"
Ce défi fut entre autres d'être plus personnel, de
se projeter davantage dans son ouvrage. Un tournant qui n'est
peut-être pas étranger à la distance récente
prise avec son image d'universitaire. " Lorsqu'on fait un
roman historique, poursuit-il, on se réfugie dans un passé
lointain, on ne s'implique pas, même si on veut rendre ce
lointain le plus intense possible ; un grand décalage existe
entre l'auteur et ce qui s'est passé. Dans un roman comme
celui-là, plus près de la chronique sociale, on
met en place un personnage qui prend l'avant-plan par rapport
à l'auteur. Je me suis retrouvé quant à moi
embarqué pleinement, presque prisonnier de l'histoire,
d'une façon plus forte que jamais. Avec le premier livre,
je ne me laissais pas encore aller, alors que là le romancier
a vraiment pris le dessus. Sans faire référence
à la théorie littéraire, que je découvre
sur le terrain, je sens que j'ai découvert la force de
l'écriture au Je. Ça a été li-bé-rateur
! "
En parcourant Rue des Érables, on est irrésistiblement
tenté d'associer cette libération et celle de Jean,
héros dont la vraisemblance fait fréquemment oublier
l'analyse de caractère et de milieu à laquelle s'est
livré l'auteur. S'il y a bien un Thésée ou
une Ariane qui finissent par se glisser dans la prose de cet ancien
professeur de mythologie, celui-ci s'est astreint à une
grande retenue du côté cognitif. La découverte
du monde que fait Jean, doublée d'une nette déception
de sa part face à la pusillanimité de son environnement
social, on les perçoit par les yeux d'un authentique jeune
homme, dont on peut finement sentir la progression mentale.
" Si je mets en scène un gars de dix-huit ans, il
doit penser comme un gars de cet âge-là, qu'on voie
le monde à travers ses yeux, selon ses classes. "
Mais cette vraisemblance a beau être l'effet d'une savante
construction, on devine vite combien la restitution de cette jeunesse
puise aux racines de celui qui parle : " Il y a toujours
le côté fausse autobiographie, concède Jacques
Desautels. On le sait, le romancier est toujours un peu un cannibale,
qui gruge à droite et à gauche, qui digère
tout. J'ai connu le milieu dont je parle, à Montréal,
à Québec, et c'est ce que je rends dans ce livre
: une époque, et un milieu. "
Lecteur de Mauriac et de Balzac, l'homme issu de Saint-Jean-d'Iberville
n'est pas très tendre envers une période jugée
conformiste, où seule une curiosité difficilement
acceptée pouvait permettre d'élargir ses horizons.
Tout comme ce voyage que le héros commencera par rêver,
puis qui symbolisera le besoin de se détacher du sol natal
pour mieux s'appartenir, détacher sa pensée du tissu
parfois étouffant de celle des autres.
À mille lieues du thriller, la chronique de Desautels pourrait
étirer longtemps ses propres vagues et faire découvrir
les autres âges de la vie de Jean. " Il y aura une
suite, dit-il. Si des lecteurs aiment ça. "
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