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11 avril 2002 ![]() |
Pour la première fois en plus de trente ans d'existence,
la troupe de théâtre Les Treize met à l'affiche
du Théâtre de la Cité universitaire, pour
clôturer sa saison, un des plus grands classiques de notre
dramaturgie. Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay, cette
pièce qui a été jouée aux quatre coins
du monde et qui constitue le point de départ du nouveau
théâtre québécois aux yeux de nombreux
spécialistes, prend un nouvel envol grâce à
la vision du metteur en scène Philippe Dion-Boucher et
des quinze comédiennes transformées pour l'occasion
en colleuses de timbres.
"Rose Ouimet, c'est moi, avec vingt ans de plus et un peu
moins d'éducation!" À lui seul, ce cri du coeur
de Valérie Belzile souligne l'intemporalité des
propos tenus par ces femmes du Plateau Mont-Royal des années
soixante soumises à leur mari, imaginées par Michel
Tremblay. Une révolution féministe plus tard, la
comédienne a l'impression que le manque de pouvoir sur
leur vie ou leur destin dont souffrent les héroïnes
de la pièce reste d'actualité. "Une importante
catégorie de femmes ne peuvent recommencer à zéro
encore aujourd'hui, souligne l'étudiante au doctorat en
ethnologie. Le malaise des personnages qui ont l'impression qu'elles
ne peuvent rien changer dans leur vie me touche beaucoup."
Rappelons l'histoire en quelques mots. Germaine Lauzon gagne un
million de timbres qu'il faut coller sur des livrets pour pouvoir
les échanger contre des meubles et des bibelots. Elle invite
ses soeurs et ses voisines à l'aider, une occasion en or,
pour ces femmes qui se connaissent depuis toujours, de se déchirer
et de se réconcilier, tout en enviant l'heureuse gagnante.
Un peu craintif au moment d'aborder ce monument de la dramaturgie
jouée par près de 150 productions à travers
le monde, le metteur en scène Philippe Dion-Boucher a cherché
à actualiser le propos en axant la pièce sur la
jalousie entre les personnages. "J'avais envie d'aller plus
loin que la simple anecdote sur cette femme qui gagne un million
de timbres, précise l'étudiant en études
théâtrales. Chaque personnage a donc la place pour
s'exprimer, et les moments comiques ou dramatiques sont accentués."
Un manifeste contre l'hermétisme
Partisan d'un théâtre le plus accessible possible
aux spectateurs, Philippe Dion-Boucher a d'ailleurs voulu resserrer
le lien avec le public en créant de petits échanges
entre les comédiennes et la salle. La soeur "démone"
qui travaille dans les clubs, la jeune fille désespérée
par une grossesse non désirée, la bigote de service
ou la femme mûre en quête de "fun", ont
tour à tour leur moment de gloire. Il suffit parfois d'un
projecteur éclairant seulement une protagoniste, ou de
bruits de foule diffusés lorsque la comédienne s'empare
d'un micro à la manière d'une humoriste, pour faciliter
alors le dialogue avec les spectateurs. "C'est un peu un
manifeste contre les pièces trop hermétiques, indique
l'étudiant en études théâtrales. J'ai
envie de redonner le théâtre aux gens, de leur faire
redécouvrir le plaisir d'assister à une pièce
de théâtre, et de donner la liberté aux comédiennes
de s'approprier le texte."
Soucieux de mettre les actrices davantage en évidence,
le metteur en scène a d'ailleurs décidé d'éliminer
de la scène tout objet, qu'il s'agisse des tables ou des
timbres eux-mêmes. Un choix qui a insécurisé
les comédiennes au départ, mais qui, selon Lise
Simard, l'interprète de Germaine Lauzon, offre l'avantage
de laisser toute la place aux personnages et à leurs répliques.
"Cela donne un effet vraiment dynamique car chacune peut
prendre la parole a son tour et le spectateur s'attache vraiment
à ses mots", précise-t-elle. Certaines scènes
d'ensemble comme l'ode au Bingo ou le collage des timbres ressemblent
par ailleurs à de véritable chorégraphies
très synchronisées, qui rappellent par certains
côtés le travail à la chaîne dans les
usines de l'époque.
Tout en libérant les comédiennes des carcans matériels,
le metteur en scène table, par contre, sur un décor
et des costumes réalistes. La troupe a ainsi pu bénéficier
de la collection de robes, tailleurs, sacs à main, chapeaux,
datant des années cinquante et soixante, qu'une connaissance
amoureuse de la mode de cette époque, lui a prêtée.
Petit à petit, le décor devient cependant moins
réaliste, alors que le rêve de Germaine Lauzon de
sortir enfin de son milieu s'écroule. Pour clôturer
sa saison en beauté, la Troupe Les Treize s'offre, avec
Les Belles-Soeurs, le Théâtre de la Cité
universitaire pendant deux jours, proposant même une matinée
pour les groupes et les associations le samedi matin. La production
connaîtra même une seconde vie à la fin du
mois, alors qu'une école secondaire de Saint-Damien l'accueilera
pour deux représentations. Les Belles-Soeurs sont
présentées au Théâtre de la Cité
universitaire le samedi 13 avril à 11 h et 20 h et le dimanche
14 avril, à 20 h. Les billets sont en prévente au
Service des activités socioculturelles, au local 2344 du
pavillon Alphonse-Desjardins.
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