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11 avril 2002 ![]() |
Jacques Chabot est chercheur postdoctorant en archéologie
au CELAT, le Centre interuniversitaire d'études sur les
lettres, les arts et les traditions. Le jeudi 4 avril, ce spécialiste
des travaux agricoles préhistoriques a prononcé
une conférence au pavillon Charles-De Koninck dans le cadre
des midis-causeries du CELAT. Son exposé a porté
sur les résultats de fouilles archéologiques effectuées
l'automne dernier sur le site d'Aratashen en Arménie, sous
l'égide de l'Université Lyon II, de France. Son
rôle: coresponsable de la fouille et de l'analyse du matériel
archéologique relatif à la pierre. Démarré
en 1999, le projet de fouilles a pour objectif d'étudier,
pour la première fois, les cultures préhistoriques
du Caucase.
Le site d'Aratashen fait environ 50 mètres sur 60. Un petit
village agricole occupait cet emplacement durant les périodes
néolithique et chalcolithique, soit entre 5 000 et 3 000
ans avant Jésus-Christ. "L'an dernier seulement, nous
avons trouvé 4 500 objets, indique Jacques Chabot. Les
trois quarts étaient constitués d'outils et de résidus
de débitage en obsidienne. L'obsidienne est de la lave
volcanique qui s'est solidifiée, donc vitrifiée.
C'est un verre naturel très rare encore plus performant
que le silex." Le reste du matériel découvert
comprenait des objets de céramique assez grossière,
des outils en pierre polie (meules, pilons, mortiers, etc.) et
des artefacts faits d'os (ustensiles, poinçons, etc.).
Des égratignures au microscope
Jacques Chabot est l'un des rares spécialistes en tracéologie
au monde. Cette nouvelle discipline permet, à partir d'images
prises au microscope électronique, de déterminer
la fonction des outils utilisés durant les temps très
anciens. "Lorsqu'on coupe des plantes avec du silex, explique-t-il,
cela produit un poli sur le tranchant de la lame. Sur l'obsidienne,
cela n'existe pas. La seule chose qu'il faut regarder sont les
patrons de distribution des égratignures." L'an dernier,
le chercheur a rapporté avec lui 200 pièces archéologiques
d'Aratashen. Des tests expérimentaux et des analyses lui
ont permis d'identifier sur certains artefacts des microtraces
faites d'une part, par une activité de moissonnage, c'est-à-dire
de coupe de céréales et, d'autre part, par une activité
de battage, soit de séparation des grains de la paille
des mêmes céréales. "Il y a récurrence
de petits pointillés parallèles au tranchant de
l'outil, précise-t-il. Seul un travail de moissonnage avec
un outil de pierre peut produire cela." Le battage, lui,
se faisait avec le tribulum, une planche à dépiquer
équipée de lames d'obsidienne, tirée par
un animal et que l'on passait sur les céréales séchées
étendues sur le sol.
À cette époque d'avant la métallurgie, la
seule façon d'obtenir des outils tranchants était
de les confectionner en pierre, ce qui nécessitait des
techniques de taille performantes. Jacques Chabot a découvert
que l'une de ces techniques complexes, dite de la pression à
la béquille, était utilisée à Aratashen.
Elle consistait à appuyer de tout son poids au niveau des
pectoraux sur une béquille munie d'une pointe en os placée
sur le bord du bloc de pierre appelé nucléus. La
pression faisait se détacher de longues lames minces, effilées
mais très régulières. "La découverte
de la technique de taille employée, dit-il, nous renseigne
sur l'état d'avancement technologique des populations préhistoriques.
Les objets de pierre, parce que c'est ce qui se conserve le mieux,
sont la manne du préhistorien. Ils jouent le rôle
de témoins privilégiés des activités
de la vie quotidienne dans la préhistoire."
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