![]() |
4 avril 2002 ![]() |
Une équipe de recherche canadienne, à laquelle
sont associés des chercheurs de la Faculté de médecine
de l'Université Laval, vient de démontrer que la
présence de certains polluants était reliée
à la diminution d'une hormone thyroïdienne chez l'humain.
Les chercheurs ont établi qu'il existait une relation inverse
entre la concentration de thyroxine et la concentration combinée
de métabolites de BPC et de pentachlorophénol (PCP)
présents dans le sang du cordon ombilical des nouveau-nés.
Ces résultats inédits laissent supposer que ces
polluants, capables de traverser la barrière placentaire,
pourraient interférer avec des hormones qui jouent un rôle
important dans le développement du cerveau chez l'enfant.
Les chercheurs Pierre Ayotte et Éric Dewailly, de l'Unité
de recherche en santé publique, et leurs collègues
Courtney Sandau, Jason Duffe et Ross Norstrom, publient les détails
de leur étude dans le numéro d'avril de Environmental
Health Perspectives, la revue du National Institute of Environmental
Health Sciences des États-Unis. Leurs données proviennent
d'une recherche qu'ils ont menée auprès des nouveau-nés
de la Basse-Côte-Nord et du Nunavik. Ces populations sont
considérées "à risque" en raison
de leurs habitudes alimentaires; les résidants des villages
étudiés consomment des quantités importantes
de mammifères marins et d'oeufs d'oiseaux marins, riches
en gras fortement contaminés par les polluants industriels
qui s'accumulent dans la chaîne alimentaire.
"Beaucoup de polluants comme les BPC sont stockés
dans les graisses, explique Éric Dewailly. C'est lorsque
l'organisme les métabolise et qu'ils entrent dans la circulation
sanguine qu'ils deviennent plus dangereux. En mesurant les métabolites
des BPC et le PCP dans le sang plutôt que les composés-mères
dans les graisses, on quantifie plus fidèlement le niveau
d'exposition intra-utérin à ces polluants toxiques."
Le chercheur signale que les métabolites des BPC et le
PCP se lient aux protéines de transport des hormones thyroïdiennes
dans le sang. En conditions normales, la thyroxine s'associe à
ces mêmes protéines pour franchir la barrière
qui sépare la circulation sanguine et le cerveau. "L'affinité
de ces polluants pour les protéines de transport dépasse
plusieurs fois celle de la thyroxine, souligne-t-il. En accaparant
ces protéines, les polluants peuvent donc limiter la quantité
d'hormones thyroïdiennes qui passent du sang de la mère
à celui de l'enfant, favoriser le passage des polluants
à travers la membrane placentaire et réduire la
quantité de thyroxine qui se rend au cerveau de l'enfant."
La pointe de l'iceberg?
Les BPC, des composés très résistants
à la chaleur et à la dégradation, ont servi
pendant longtemps dans les transformateurs électriques.
Quant au PCP, il a été énormément
utilisé pour la préservation du bois en raison de
ses propriétés antifongiques. Le Canada applique
des restrictions importantes sur l'usage de ces produits depuis
plus de vingt ans, mais ils persistent dans l'environnement, souligne
Éric Dewailly. Transportés sur de longues distances,
ils s'accumulent dans la chaîne alimentaire et se concentrent
dans les graisses des mammifères marins.
Le lien possible entre les hormones thyroïdiennes et certains
polluants qui circulent dans le sang ouvre de nouvelles perspectives
d'études pour l'équipe de l'Unité de recherche
en santé publique. "Nous voulons refaire des analyses
sur plus d'enfants et d'adultes du Nunavik. De plus, c'est un
fait étonnant, mais la thyroxine est l'un des deux médicaments
les plus prescrits aux adultes du Québec, rappelle Éric
Dewailly. Près de 15 % des adultes, surtout des femmes,
en prennent pour soulager leurs problèmes de fatigue et
de manque d'entrain. Nous aimerions vérifier si la prévalence
élevée de ces problèmes de santé peut
s'expliquer par la présence de certains polluants dans
l'organisme ou dans l'environnement."
![]() |