21 mars 2002 |
Le débat lancé par la Chaire publique de l'Association
des étudiants et des étudiantes de Laval inscrits
aux études supérieures (AELIES) le 14 mars dernier
ressemble un peu à celui du pot de fer et du pot de terre.
Dans le coin gauche, des laboratoires florissants qui découvrent
de nouveaux médicaments et les vendent presque sans concurrence,
représentés par un des cadres de Merck Frosst. Dans
le coin droit, Joseph Kerba, un des porte-parole de l'industrie
générique qui copie les produits pharmaceutiques
d'origine et se taille une part de marché de moins de 10
%, sur l'ensemble des médicaments vendus sous prescription.
Pour éviter que la discussion ne tourne au dialogue d'initiés,
André Coté, professeur de l'Université Laval
responsable du programme de MBA en gestion pharmaceutique, clarifiait
les propos des deux protagonistes, en donnant quelques explications
juridiques ou administratives.
La question du prix des médicaments devient chaque jour
davantage épineuse dans une province qui s'inquiète
de l'augmentation des dépenses liées au système
de santé. Seulement l'an dernier, la facture s'est accrue
de 7 %, une hausse qui s'explique par la progression du nombre
de personnes traitées, leur consommation moyenne et les
frais parfois faramineux des nouveaux médicaments. Pourtant,
à en croire Alain Boisvert, chef des relations gouvernementales
chez la multinationale pharmaceutique Merck Frosst, les tarifs
pratiqués au Canada, où un organisme fédéral
encadre les prix, se comparent avantageusement à ceux d'autres
pays équivalents.
"Il faut six à huit ans pour développer un
nouveau produit, et une molécule sur 10 000 seulement atteint
la commercialisation, explique-t-il. Seulement un tiers de ces
nouveaux médicaments seront rentables. Les risques financiers
sont donc énormes, ce qui explique la vague de fusion à
laquelle on assiste depuis quelques années dans l'industrie."
Reconnaissant volontiers que le prix des nouveaux arrivés
sur le marché s'avère souvent très élevé,
Alain Boisvert avance que certains des traitements sophistiqués
récemment mis au point permettent au système de
santé de réaliser des économies, puisque
les malades n'ont plus besoin d'aller en centre hospitalier ou
y restent moins longtemps. Et de citer, à titre d'exemple,
la découverte de médicaments anti-rejet pour les
greffés qui procurerait un gain de 60 000 dollars par an
par patient.
Les surprises du marché
De son côté, Joseph Kerba, représentant
de l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques
qui défend les couleurs de l'industrie générique,
fait remarquer que tous les médicaments qui arrivent sur
le marché ne constituent pas une amélioration, loin
de là. Il cite ainsi l'exemple d'un produit accepté
sur la liste des produits remboursés qui s'avère
plus cher qu'une molécule déjà sur le marché
à moindre prix. " Il faudrait mettre en place un comité
de sages inter-provincial pour dépolitiser le débat,
martèle-t-il. L'inscription des médicaments sur
la liste de médicaments couverts par la Régie de
l'assurance-maladie du Québec ne doit pas se voir liée
aux montants investis en recherche et développement dans
une province, mais uniquement dépendre d'un examen de leur
efficacité."
Les investissements consentis par les laboratoires de recherche
pharmaceutique au Québec constituent en effet un des points
majeurs du débat. Si Alain Boisvert souligne avec fierté
que l'industrie dépense près de1,5 milliard de dollars
dans la province, générant près de 2 500
emplois directs, et que de nombreux sièges sociaux ont
pignon sur rue dans la région montréalaise, Joseph
Kerba préfère, lui, parler des subventions qu'elle
reçoit. "Il ne faut pas oublier que le contribuable
rembourse près de 546 millions de dollars en crédits
d'impôt aux multinationales pharmaceutiques, soutient-il.
Sans compter que beaucoup d'usines ferment et que les médicaments
sont fabriqués dans des pays du sud. "
Et la protection intellectuelle?
L'autre point d'affrontement entre l'industrie générique
du médicament et les laboratoires de recherche porte sur
les mesures de protection intellectuelle dont jouissent les médicaments
nouvellement créés. Lorsqu'une entreprise lance
une nouvelle molécule brevetée sur le marché,
elle dispose en effet d'un monopole de vente d'une douzaine d'années.
Le Québec ajoute une protection supplémentaire de
cinq ans, en remboursant le médicament d'origine pendant
ce laps de temps même s'il existe un médicament générique
disponible. Des mesures qui font bondir le porte-parole de l'Association
canadienne des produits pharmaceutiques car il soutient que le
Québec réaliserait des économies de 100 millions
de dollars si les malades québécois utilisaient
autant les médicaments génériques que leurs
voisins des autres provinces.
De son côté, Alain Boisvert soutient que les citoyens
du Québec participent désormais activement au traitement
de leurs maladies, s'informent, et ont le droit légitime
d'exiger le médicament d'origine disponible même
lorsqu'il existe une copie. Il cite également en exemple
l'instauration d'équipes thérapeutiques composées
de professionnels attaquant la maladie sur plusieurs fronts, et
s'échangeant des informations. L'information semble d'ailleurs
constituer le nerf de la guerre dans le conflit qui oppose les
laboratoires de recherche et l'industrie du générique.
Joseph Kerba en appelle ainsi à l'instauration d'une politique
du médicament qui permettrait aux thérapeutes de
s'informer de façon objective des propriétés
réelles des produits disponibles. À l'entendre,
les médecins ne disposent pas pour l'instant d'une source
indépendante de renseignements sur l'efficacité
des médicaments car les revues scientifiques seraient souvent
contrôlées par le lobby des laboratoires de recherche.
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