14 mars 2002 |
Chacun sait que, généralement, les rhinocéros
paissent davantage dans les marigots africains que sur le boulevard
René-Lévesque. Sauf peut-être dans la pièce
qu'Eugène Ionesco a écrit en 1958, où les
citoyens d'une ville anonyme adoptent peu à peu la corne
et la silhouette caractéristique de ce pachyderme. Allégorie
sur le thème de l'individualité mise à mal,
la pièce Rhinocéros aurait été
inspirée à l'auteur par les vagues nazie et fasciste
qui ont emporté tant de ses amis intellectuels dans leur
remous. Près de cinquante ans plus tard, ce texte prend
une nouvelle actualité, alors que tant d'événements
dramatiques, qu'il s'agisse de la violence au Proche-Orient ou
des attentats du World Trade Center, découlent de mouvements
de masse que le dramaturge assimile à des maladies collectives.
Lorsque le premier rhinocéros fait son apparition, la plupart
des habitants ont de bonnes raisons pour s'insurger de son arrivée.
Cependant, le spectateur découvre peu à peu que
chacun des personnages, à l'exception d'un seul, Béranger,
possède en lui des germes de "rhinocérite".
Jean, un homme fort et violent, se sent des affinités
avec cet animal puissant, Daisy se dit attirée pour sa
part par cet animal à la belle peau dure qui chante si
bien, tandis qu'à trop relativiser le bien et le mal, un
penseur tolérant en vient à accepter l'inacceptable.
Finalement, seul Béranger, qui au début semble si
peu attentif à l'action et un peu perdu, résiste
à cette transformation et révèle son humanité.
Idées courtes, vastes hystéries
"Avec Rhinocéros, on cherche à
présenter les différentes façons dont les
personnages réagissent à un phénomène
de masse et finissent par l'adopter car ils ne possèdent
pas une humanité suffisante, explique l'instigateur du
projet, Rouslan Kats. Je pense que pour Ionesco, la faiblesse,
l'angoisse, le doute, font partie de la condition humaine."
À afficher des idées trop arrêtées,
on court donc le risque, selon l'auteur de la pièce, de
céder à l'hystérie collective, qu'il s'agisse
d'un mouvement politique, d'une secte ou, pourquoi pas, d'une
fièvre sportive de type hooligan. C'est justement
cette multiplicité des interprétations du texte
qui a séduit l'équipe des Treize.
"Tout le monde a son opinion sur cette pièce qui a
provoqué beaucoup de discussions parmi les acteurs, remarque
le metteur en scène, Raymond Poirier. Le texte, très
riche, nous dévoile encore des détails aujourd'hui
alors que nous l'avons lu et relu." La douzaine d'étudiants
impliqués dans la pièce ont donc abondamment débattu
sur la nature de la condition humaine, la diversité de
leurs champs d'étude - communication, informatique, cartographie,
arts visuels, médecine expérimentale - ajoutant
encore à la richesse des propos. Le metteur en scène
a voulu respecter cette diversité des points de vue en
laissant chacun trouver la vérité intérieure
de son personnage, tout en maintenant une cohésion d'ensemble.
Le souhait des Treize
Tablant sur un décor à tendance onirique apte
à faire saisir la complexité de la réflexion
en jeu, la mise en scène brouille volontiers les frontières
entre le rêve et la réalité. Plusieurs univers
s'entremêlent, alors que les différences entre les
rhinocéros et les humains s'amenuisent toujours davantage
et que le personnage principal, Béranger, découvre
sa solitude au sein de la multitude. "Pour lui, le rejet
des rhinocéros est physique, indique Jean-René Moisan
qui incarne ce héros malgré lui. Dans ses tripes,
il sait qu'il ne doit pas adhérer au mouvement collectif."
Cet étudiant en études théâtrales
avoue se reconnaître dans ce personnage aux humeurs changeantes,
mais à se mettre en bouches les mots d'Ionesco, il a compris
que peu importe la situation qu'il devrait affronter dans la vie,
il garderait ses convictions.
"Je crois que c'est une pièce qui apporte des messages
sociaux, note Rouslan Cats, un inconditionnel de Ionesco. L'auteur
se pose de grandes questions sur le monde, sur le sens de la condition
humaine, et va peut-être plus loin qu'avec La Cantatrice
chauve, surtout représentative du théâtre
de l'absurde." Le souhait de l'équipe des Treize?
Que les spectateurs utilisent la durée du spectacle à
réfléchir aux grandes questions sur l'essence de
l'humanité. Qui sait, peut-être découvriront-ils
le petit rhinocéros caché en eux? Représentation
les 22,23 et 24 mars, à 20 h, à l'amphitéâtre
Hydro-Québec du pavillon Alphonse-Desjardins. Billets
disponibles au Service des activités socioculturelles,
local 2344, pavillon Alphonse-Desjardins.
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