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14 mars 2002 ![]() |
Louis Bernatchez aime les poissons...accompagnés d'une
bouteille de bon vin. On le dit très fort en gastronomie.
Mais il aime surtout les poissons nature, ceux qui nagent entre
deux eaux. Il aime les étudier, essayer de comprendre d'où
ils viennent et où ils vont, pour ensuite en parler à
ses étudiants ou écrire des articles scientifiques
ou des livres à leur sujet. On le dit très fort
en écologie. Le Conseil de recherches en sciences naturelles
et en génie du Canada (CRSNG) est d'accord là-dessus.
Il estime même que ce professeur du Département de
biologie compte parmi les meilleurs scientifiques de la relève
au pays. C'est pourquoi il vient de lui décerner la bourse
Steacie, un honneur dont seulement six chercheurs canadiens peuvent
s'enorgueillir en 2002.
Le CRSNG accorde cette distinction à de jeunes scientifiques
- avoir terminé un doctorat depuis moins de douze ans est
le critère de jeunesse de l'organisme subventionnaire -
qui ont connu un début de carrière fulgurant. Le
dossier de Louis Bernatchez colle à cette description:
une centaine d'articles scientifiques, une trentaine de rapports
de recherche et même un guide des poissons d'eau douce du
Québec, dont près de 10 000 exemplaires ont trouvé
preneur, une Chaire de recherche du Canada en gestion et conservation
génétique des ressources dulcicoles, le prix Michel-Jurdant
de l'Acfas, une publication au palmarès des dix découvertes
de l'année 2001 du magazine Québec Science...
La bourse Steacie le dispensera des tâches d'administration
et d'enseignement pendant deux ans. À cette subvention
en temps s'ajoutent un supplément de financement versé
par le CRSNG et un montant en provenance de la Fondation canadienne
pour l'innovation, des sommes qui restent à préciser,
mais qui pourraient atteindre plus de 300 000 $. "Le prix
Steacie me donne le temps et les moyens de me pencher immédiatement
sur des projets que je ne croyais pas pouvoir faire avant trois
ou quatre ans", souligne l'heureux boursier.
Bourreau de travail
"Une caractéristique qui le distingue des autres
chercheurs de sa génération est sa capacité
phénoménale de travail", juge Julian Dodson,
directeur du Département de biologie, qui a supervisé
ses travaux depuis le bac jusqu'au doctorat. "Il investit
beaucoup de temps et d'efforts dans une quantité impressionnante
de projets et il les mène à terme."
Le point tournant de la jeune carrière de Louis Bernatchez
est survenu au début du doctorat, lorsque son directeur
lui a proposé d'utiliser des outils moléculaires
pour répondre à des questions qui hantaient les
écologistes. Pendant longtemps, les chercheurs s'en remettaient
uniquement à des caractères morphologiques comme
la longueur du corps ou des nageoires pour comparer des populations
de poissons. Louis Bernatchez s'est fait une niche dans le très
compétitif écosystème de la recherche en
misant sur les nouveaux outils d'exploration offerts par la biologie
moléculaire. Depuis, cet écologiste hybride les
utilise pour mieux comprendre comment les populations d'une même
espèce divergent progressivement pour en arriver à
former des espèces distinctes au fil des millénaires.
Son approche combine la génétique, l'écologie
et la physiologie. "Il est toujours à l'affût
de nouvelles méthodes d'études et d'analyses des
données", ajoute Julian Dodson pour souligner l'esprit
inquisiteur du boursier Steacie.
À en juger par sa liste de publications, Louis Bernatchez
est un crack de la génétique qui prend plaisir à
fendre les eaux tumultueuses des débats entourant l'évolution
des espèces. Dans les faits, le biologiste de terrain préoccupé
par la gestion et la conservation des poissons nage à l'unisson
dans le sillage du fondamentaliste. "Les aspects fondamentaux
et appliqués de nos travaux sont tous deux importants,
insiste-t-il. Nous faisons encore beaucoup de travaux appliqués
avec des gestionnaires de rivières sur les populations
de saumons, d'ouananiches, de corégones et d'ombles de
fontaine."
Ses recherches font des vagues dans les domaines des pêcheries,
de l'aquiculture et de la conservation de la biodiversité.
Ainsi, il y a un an, il publiait dans Nature la preuve
que les anguilles d'Europe s'accouplent essentiellement avec des
congénères provenant de la même région
géographique qu'elles, un fait étonnant considérant
qu'elles parcourent des milliers de kilomètres entre la
rivière où elles vivent jusqu'à l'unique
lieu de reproduction connu de l'espèce - la mer des Sargasses.
Non seulement cette découverte mettait fin au mythe du
brassage de gènes invoqué pour expliquer le périple
nuptial de l'anguille, mais elle remettait en question toutes
les opérations de rempoissonnement d'anguilles effectuées
jusque-là en Europe, puisqu'elles se faisaient sans tenir
compte de la provenance géographique des jeunes anguilles.
L'ONU du poisson
Le laboratoire de Louis Bernatchez compte aujourd'hui près
de 30 personnes. Depuis quelques années, des étudiants
et des stagiaires d'Allemagne, d'Angleterre, de Belgique, de Chine,
d'Espagne, des États-Unis, de France, d'Islande, de Norvège
et des autres provinces canadiennes, attirés à l'Université
Laval par la réputation du professeur Bernatchez, y côtoient
des étudiants du Québec. Vincent Castric, étudiant-chercheur
français, est de ceux-là. "J'apprécie
surtout l'approche pluridisciplinaire qu'il préconise dans
ses travaux, explique-t-il. Il a du flair pour aller chercher
les connaissances qui sont disponibles et qui peuvent faire avancer
les questions qu'il se pose. Il réussit bien à faire
la part des choses entre l'essentiel et l'accessoire. Comme directeur,
il n'est ni stressé, ni stressant, et il laisse beaucoup
d'autonomie à ses étudiants."
Étudiant-chercheur à la maîtrise et professionnel
responsable du laboratoire de recherche, Robert Saint-Laurent
a connu Louis Bernatchez alors que ce dernier débutait
comme professeur à l'Université en 1995. "À
son premier cours, on le sentait nerveux, mais rempli de bonne
volonté. Il paraît que le pédagogue en lui
est est comme le bon vin, qu'il s'améliore en vieillissant",
lance-t-il amusé. Dans la vie quotidienne, le professeur
Bernatchez est "quelqu'un qui sait trouver du positif dans
toutes les situations", poursuit-il. "Tu entres dans
son bureau complètement défait et quelques minutes
plus tard, tu en ressors heureux, sans trop savoir pourquoi."
Selon lui, les ingrédients qui font le succès de
"la recette Bernatchez" se résument à
deux choses: son enthousiasme et son sens de l'organisation. "Comme
directeur d'un laboratoire de 27 personnes et comme père
de quatre jeunes enfants, il n'a pas d'autre choix que d'être
très efficace."
L'avenir des étudiants-chercheurs qui passent par son laboratoire
est une préoccupation continuelle de Louis Bernatchez.
"Pour lui, il est très important que chacun d'eux
trouve un emploi dans son domaine, souligne Robert Saint-Laurent.
À ses yeux, c'est aussi important que la publication d'articles
scientifiques, même si ça ne compte pas dans l'évaluation
de son travail de professeur. C'est Louis, ça."
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