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14 mars 2002 ![]() |
La mortalité causée par le cancer de la prostate
serait en baisse au Québec, mais le recours à un
test sanguin pour dépister cette maladie n'y serait encore
pour rien. C'est ce que soutient une équipe du Centre de
recherche en cancérologie dans un article publié
dans le Canadian Medical Association Journal. La revue
consacre d'ailleurs la page couverture de son numéro du
5 mars à cette recherche, dont l'enjeu divise médecins
et chercheurs à travers le monde et au sein même
de l'Université Laval.
Au Québec, la mortalité due au cancer de la prostate
a augmenté de 1,8 % par année entre 1976 et 1991.
Depuis onze ans, la tendance est cependant inversée et
la baisse s'est même accentuée depuis 1995. Pour
la période 1991-1999, cette diminution atteint près
de 20 %. Le Québec n'est pas distinct en cette matière
puisque les données canadiennes et américaines révèlent
des tendances similaires. Le cancer de la prostate ne régresse
pas pour autant. Au contraire, le nombre de cas enregistrés
est en hausse depuis l'introduction du test de l'APS (antigène
prostatique spécifique), à la fin des années
1980. Ce test, effectué à partir d'un échantillon
de sang, repose sur la détection d'une protéine,
l'APS, associée aux cellules cancéreuses. Sa sensibilité
permettrait de dépister 95 % des tumeurs de la prostate
alors qu'elles sont encore à un stade précoce de
développement.
Il n'en fallait pas plus pour que chercheurs et médecins
fassent le rapprochement entre l'introduction du test de l'APS
sanguin dans la pratique médicale nord-américaine
et la baisse du taux de mortalité. Erreur, avancent les
chercheurs Linda Perron, Lynne Moore, Isabelle Bairati, Paul-Marie
Bernard et François Meyer. Si les deux variables étaient
liées, raisonnent-ils, plus l'augmentation de l'incidence
des cancers dépistés grâce au test de l'APS
est forte, plus la diminution de la mortalité devrait être
prononcée. Or, leurs analyses, par groupes d'âge
et par régions, révèlent que tel n'est pas
le cas. Comme le dépistage effectué avec le test
de l'APS n'est pas corrélé avec le déclin
de la mortalité due au cancer de la prostate, il ne peut
en être la cause, expliquent-ils. "Si le test a des
effets sur la prévention de la mortalité, ils ne
se sont pas encore fait sentir à l'échelle de la
population, précise François Meyer. Il se peut que
le laps de temps écoulé depuis l'introduction du
test soit encore trop court pour qu'on puisse mesurer des effets
perceptibles."
Selon le chercheur, la réduction de la mortalité
attribuable au cancer de la prostate pourrait tout simplement
provenir d'un meilleur traitement des patients. "Depuis que
la maladie est mieux suivie grâce au test de l'APS, le traitement
hormonal palliatif est prescrit plus tôt, ce qui a sans
doute entraîné une diminution de la mortalité."
Le test de l'APS est un outil très sensible qui permet
de suivre l'évolution et les récidives du cancer
de la prostate. C'est d'ailleurs à cette fin, plutôt
qu'à des fins de dépistage, qu'il a été
conçu.
Dépister ou pas?
En 1999, l'équipe de Fernand Labrie, du Centre de recherche
du CHUL, annonçait que le dépistage précoce
de l'APS réduisait par un facteur de trois le taux de mortalité
attribuable au cancer de la prostate. Les chercheurs avançaient
alors que, appliquée dans le cadre d'un examen médical
annuel, cette procédure éliminerait pratiquement
tous les cas où les cancers sont découverts trop
tard pour être traités. D'autres chercheurs ont cependant
remis en question la méthodologie utilisée dans
cette étude et, du coup, ses conclusions.
Règle générale, les experts jugent qu'il
faut entre 10 et 15 ans pour qu'un dépistage efficace ait
un impact sur le taux de mortalité. Les organisations médicales
canadiennes ne recommandent pas encore le test de l'APS pour le
dépistage des cancers de la prostate puisque "aucune
étude scientifique n'a encore démontré que
ça réduisait le taux de mortalité, explique
François Meyer. Avant de faire du dépistage dans
la population, il faut être convaincu que l'intervention
sera bénéfique." Malgré ces recommandations,
le test de l'APS semble maintenant faire partie des analyses sanguines
fréquemment effectuées au Québec lors des
examens médicaux de routine chez les hommes qui ont atteint
la quarantaine. Le cancer de la prostate frappe un homme sur onze
au cours de sa vie. Environ 4 000 Canadiens décèdent
chaque année des suites de cette maladie.
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