14 mars 2002 |
La veille de monter sur la scène du Gesù, à
Montréal, le 8 mars, Luc Bouthillier sentait d'énormes
papillons voltiger dans son estomac. "Il y a longtemps que
je n'ai pas eu le trac à ce point", avouait-il, comme
pour évacuer un peu de pression. Quelques heures plus tard,
le professeur du Département des sciences du bois et de
la forêt affrontait une salle comble, aux côtés
du chanteur et réalisateur de L'erreur boréale,
Richard Desjardins, de Roméo Saganash, conseiller spécial
auprès du Grand conseil des Cris, et de Ghislain Picard,
chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador,
lors d'une soirée bien spéciale sous les feux de
la rampe.
Le Regroupement des groupes écologistes du Québec
(RQGE) avait convié la population au Gesù pour une
conférence publique sur l'avenir de la forêt boréale.
Comme pour ajouter un peu de poivre au scénario, le gouvernement
du Québec venait tout juste de revoir à la baisse
ses engagements concernant les objectifs du pourcentage de coupe
en forêts mosaïques, tout en laissant en suspens ses
promesses concernant les aires protégées. Planter
les quatre acteurs dans le décor de la célèbre
salle de Montréal, lieu d'épiques réunions
qui ont marqué l'histoire de cette ville, et tous les ingrédients
d'une soirée explosive étaient réunis.
Lorsqu'il a accepté l'invitation du RQGE, Luc Bouthillier
ignorait qui l'accompagnerait sur scène et dans quel contexte
se camperait cette soirée. "J'ai accepté de
participer à titre de chercheur, mais je sentais que le
colloque prenait des allures de soirée de spectacle ou
de harangue politique. Je m'attendais à m'attirer les foudres
des participants étant donné que j'étais
le seul conférencier à provenir du monde forestier,
d'où tout le mal vient. Mais comme il s'agissait d'une
belle occasion pour mieux informer la population montréalaise
et que je plaide depuis des années en faveur de la participation
de la population dans la gestion des forêts, il n'était
pas question que je me retire."
La fièvre des planches
Devant une foule de plus de 400 personnes, Luc Bouthillier
a souligné que si le gouvernement était sérieux
dans sa volonté d'impliquer les Amérindiens dans
la gestion forestière, il y avait là un appel à
concevoir une nouvelle foresterie d'où tout le monde sortirait
gagnant. "Les réformes envisagées par le gouvernement
vont dans la bonne direction, il y a des changements possibles
à court terme, mais de toute évidence, l'accouchement
est pénible. Il faudra utiliser les forceps et ces forceps
viendront de la pression que la population continuera d'exercer
sur les politiciens."
L'auditoire est demeuré "attentif à tous les
points de vue, mais prêt à l'action directe",
résume le professeur. "Il régnait un silence
presque intimidant pendant mon exposé, mais lors de la
période de question, j'ai senti une volonté réelle
de cerner les enjeux techniques et scientifiques de la foresterie
en milieu boréal. Certains m'ont cependant trouvé
trop indulgent envers les autorités gouvernementales."
Le public n'a pas réclamé de rappel, mais il n'a
pas cassé la baraque non plus. Tard le 8 mars, Luc Bouthillier
a quitté le Gesù en paix et heureux: pas de photographes,
pas d'autographes, ni d'entrevues, mais en poche, une invitation
à visiter une communauté algonquine pour lancer
avec elle un nouveau projet de recherche.
|