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7 mars 2002 ![]() |
Durant des siècles, les fosses d'aisances aménagées
à l'extérieur des habitations ont servi à
recevoir les matières fécales. Mais au-delà
de leur fonction première, ces réceptacles contenaient
beaucoup plus, comme le démontre l'étudiante au
doctorat et archéologue à la Ville de Québec,
Céline Cloutier, dans la thèse qu'elle a soutenue
le 28 février.
Cette recherche, intitulée De la stratification archéologique
à la stratification sociale: hygiène urbaine et
conditions de vie de six familles ouvrières du faubourg
Saint-Roch à Québec, au 19e siècle
, a mis l'accent sur la nature des déchets contenus dans
ces fosses. L'auteure démontre que ces aires restreintes
et closes contiennent, outre les restes alimentaires et les macro-restes
végétaux, des quantités impressionnantes
d'objets, souvent complets ou aisément reconstituables,
témoins de la relation passée entre l'homme et son
environnement. "Ces témoins, explique Céline
Cloutier, ouvrent sur de multiples dimensions, dont la distribution
et la répartition de la richesse, la stratification sociale,
les niveaux de vie ainsi que l'évolution de l'hygiène
en milieu urbain aux 18e et 19e siècles."
Des installations avant-gardistes
La première partie de la thèse porte sur l'étude
des déchets provenant de deux fosses d'aisances aménagées
aux 17e et 18e siècles sur le site archéologique
Aubert-de-la-Chesnaye, près de Place Royale, dans la basse-ville
de Québec. "Malgré le discours des autorités
publiques concernant l'insalubrité généralisée
en basse-ville à cette période, indique Céline
Cloutier, ces équipements sanitaires en maçonnerie
de bonnes dimensions, régulièrement vidangées,
sont en tout point conformes aux préceptes hygiéniques
qui prévalent en France dans les classes très aisées
de la société."
Pour les archéologues, la fouille des fosses d'aisances permet d'en apprendre davantage sur les conditions de vie et la stratification sociale des générations disparues
L'étude du contenu des deux fosses découvertes en
1992 a permis la reconstitution de 910 objets mobiliers, 2 092
restes fauniques et 260 macrorestes végétaux. Les
artefacts les plus anciens trouvés au fond des fosses sont
principalement de menus objets personnels susceptibles d'avoir
été perdus dans l'ouverture du cabinet d'aisances,
ou qui ont échappé à l'entretien des fosses.
Ce sont notamment des verres de lunettes, des perles de verre,
un peigne, un talon de chaussure et des pipes. "Ces artefacts,
indique-t-elle, contrastent avec le reste du contenu, constitué
principalement d'objets en céramique et en verre."
De l'aisance à la pauvreté
La thèse fait également l'étude du contenu
de six fosses d'aisances du 19e siècle découvertes
en 1990 sur le site de la Grande Place de Québec, aujourd'hui
le jardin Saint-Roch, et associées à la population
ouvrière de ce faubourg. Contrastant avec les équipements
sanitaires associés aux classes aisées de la Place
Royale, toutes les fosses d'aisances sont ici construites en bois.
"Néanmoins, précise Céline Cloutier,
l'appropriation de ces installations dans les milieux moins nantis
témoignent du processus de démocratisation des normes
d'hygiène qui s'amorce du haut en bas de la société
à cette période."
L'étude du contenu de ces fosses a permis d'autre part
de documenter les modes de vie et les habitudes de consommation
des ouvriers du 19e siècle. Ceux-ci jouissent d'une certaine
aisance au début du siècle, qui se traduit entre
autres par l'usage de céramiques fines coûteuses
et par la consommation occasionnelle de coupe de viande dispendieuse.
L'étude des objets et celle des coupes alimentaires montrent
par ailleurs que la condition économique de ces travailleurs
ira en se détériorant tout au long du 19e siècle.
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