21 février 2002 |
Nul besoin d'être grand clerc pour constater que le phénomène
du jeu excessif ou pathologique prend des proportions grandissantes
au Québec. Une progression qui va de pair avec l'augmentation
des profits de Loto-Québec, s'élevant à près
de 1,3 milliard de dollars cette année. Invités
par l'Association des étudiantes et des étudiants
de Laval inscrits aux études supérieures (AELIÉS),
dans le cadre de sa Chaire publique, à débattre
du rôle de l'État-croupier face au jeu pathologique,
Claude Bilodeau et Robert Ladouceur ne s'entendent visiblement
pas sur les mesures à adopter pour enrayer ce phénomène.
Si l'un réclame à corps et à cris une intervention
accrue de l'État pour réduire les occasions de jeu,
l'autre fait plutôt appel au sens de la responsabilité
de l'individu.
Il faut dire que les deux hommes abordent le jeu de façon
bien différente. Si Robert Ladouceur, professeur à
l'École de psychologie et membre du Centre québécois
d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu,
observe depuis une vingtaine d'années les comportements
des joueurs avec une rigueur et un recul très scientifiques,
Claude Bilodeau a lui-même vécu dans ses tripes l'enfer
d'une vie dévastée par le jeu. Abstinent depuis
cinq ans, il a fondé une maison pour venir en aide à
ceux qui perdent tout contact avec la réalité face
à une roulette ou à une machine à sous. "Le
gouvernement essaie de se donner bonne conscience avec des programmes
de prévention et de traitement, mais les subventions restent
très insuffisantes, dénonce-t-il. Loto-Québec
a rempli les coffres de l'État avec l'argent de gens vulnérables,
qu'on a rendu malades."
Désaccord sur les chiffres
Comme intervenant social, responsable d'un centre pour joueurs
compulsifs, Claude Bilodeau établit une corrélation
directe entre la légalisation des appareils de loterie-vidéo
en 1993 ainsi que l'ouverture du Casino de Montréal, et
l'augmentation du nombre de joueurs pathologiques, car selon lui
l'accessibilité des nouveaux appareils et surtout leur
rapidité facilitent la dépendance au jeu. Claude
Bilodeau cite des études et des sondages qui établissent
à 5 % ou 10 % de la population le groupe de Québécois
touchés par des problèmes de jeu. Un chiffre que
réfute Robert Ladouceur, le jugeant trop alarmiste. Selon
le professeur, la proportion de joueurs excessifs dans la population
se situe autour de 1 % à 2 %, ce qui, selon lui, est déjà
beaucoup trop.
"Il faut prendre des moyens pour aider les joueurs et limiter
leur progression vers le jeu pathologique, affirme Robert Ladouceur.
Depuis l'an dernier, de l'aide spécifique est disponible
dans toutes les régions du Québec, alors qu'avant
les joueurs ne pouvaient compter que sur des programmes initialement
conçus pour les alcooliques ou les toxicomanes." Persuadé
que chaque individu répond de ses actes, le psychologue
ne croit pas à une aide imposée, pas plus qu'à
l'interdiction des machines à sous ou à leur privatisation.
Tout comme la réduction de la vitesse de fonctionnement
de ses machines - un argument avancé par Claude Bilodeau
- ne résoudrait pas aux yeux du psychologue le problème
des joueurs pathologiques.
Un moratoire sur les loteries-vidéo?
Pourtant Claude Bilodeau n'en démord pas. Il faut absolument,
selon lui, cesser le développement des machines à
sous avant d'en étudier les coûts sociaux. Lui qui
accueille dans son organisme des joueurs en faillite, ayant sacrifié
leur famille, leur conjoint sur l'autel du jeu, dénonce
les profits que Loto-Québec réalise avec des machines
qui rapportent également des sommes importantes aux propriétaires
de bars. De son côté, conscient des drames vécus
par les joueurs qui fréquentent le Centre québécois
d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu,
Robert Ladouceur constate les progrès accomplis en matière
de prise de conscience de ce fléau social.
"Il y a une quinzaine d'années, je me sentais un peu
dans la peau d'un réparateur Maytag, peu de personnes appelaient
pour avoir de l'information, remarque le psychologue. Aujourd'hui,
les demandes affluent, et nous intervenons aussi en prévention
auprès des jeunes afin qu'ils dialoguent davantage avec
leurs parents." À l'entendre, les émissions
de télévision et de radio qui traitent de ce problème
peuvent aider les uns et les autres à appréhender
le danger que constitue le jeu pathologique. Selon Robert Ladouceur,
toutes ces mesures s'avèrent davantage profitables qu'une
interdiction pure et dure des appareils de jeux de hasard car
il soutient que "la prévention a bien meilleur goût
que la prohibition".
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