21 février 2002 |
Au premier coup d'il en entrant dans la salle d'exposition,
c'est la noirceur des toiles de Jocelyn Gasse, toute la gamme
de la noirceur, du marron au noir, qui frappe l'imagination. Mais
cette impression fugitive ne constitue qu'une illusion d'optique.
Très rapidement, l'intensité de la lumière
des tableaux, et la force dégagée par les couleurs
chaudes appliquées à grands traits jaillissent véritablement
des oeuvres de grande dimension accrochées au mur. Un univers
fantasmagorique, plein de fureur, de vitesse et de mouvements
fait alors son apparition. À tel point que le visiteur
a davantage le sentiment de se retrouver devant un extrait de
film projeté sur grand écran que devant une toile
statique.
Chacun des tableaux présentés raconte en effet une
histoire où le sordide et le sublime se côtoient,
se frôlent, dans une sarabande aux allures presque sataniques.
Ainsi, sur celle-ci, deux fantômes grimaçants exhibent
un sourire sardonique dans la lumière des phares de voitures
lancées dans une course folle, tandis qu'un couple fait
l'amour dans le lointain, sur fond de friches industrielles. Sur
une autre, un petit chien tremble d'effroi face à une silhouette
canine plutôt inquiétante, au pied d'un immeuble
désaffecté planté dans une ruelle sordide.
"Je me sens bien dans ce genre d'univers, confie Jocelyn
Gasse rêveusement. La présence de la lumière
laisse entendre qu'il y a un espoir vers quelque chose de paradisiaque.
J'aime le côté direct, l'énergie qui se dégage
de ce genre de paysage."
Contraste et mouvement
Depuis quelques années, ce peintre qui a déjà
donné dans le bucolique et le vaporeux, intègre
nombre d'éléments urbains à ses compositions.
Il se plaît à rôder dans ces paysages industriels
oubliés, à franchir les clôtures interdites,
pour croquer dans son carnet de dessins une vision d'usine à
l'abandon. Les abords d'autoroute l'attirent aussi particulièrement,
car la nature et une urbanité aux allures dévastées
s'y rejoignent. "Je procède beaucoup par amalgames,
précise le peintre, en intégrant très rapidement
sur une même toile des éléments vus à
différents endroits. Selon moi, les éléments
paysagers donnent le mouvement, tandis que les éléments
urbains, comme des bâtiments, fournissent les lignes géométriques.
C'est le contraste entre les deux qui m'intéressent."
Cet ancien performeur, qui a effectué un retour vers la
peinture il y a une vingtaine d'années, voue une grande
admiration aux expressionnistes allemands ou à Turner,
appréciant la fougue et l'expression qui se dégagent
des toiles de ces créateurs. Passionné par les jeux
de lumière, il constate que sa peinture a de plus en plus
tendance à s'éclaircir, ce qui ne veut pas dire
pour autant qu'elle s'édulcore, bien au contraire. Soucieux
de disposer de couleurs franches et éclatantes, il n'utilise
pas de blanc dans sa peinture à l'huile, mais procède
par dilutions successives, pour affiner sa palette. Sous ses doigts,
sa spatule, son pinceau, la couleur devient une matière
vivante qui semble presque s'échapper de certaines toiles.
Jocelyn Gasse a conscience de l'effet dérangeant que peuvent
procurer ses mises en scène de squelettes tordus dansant
devant une autoroute, mais c'est justement la coexistence de cet
univers morbide avec le monde des vivants qui l'intéresse.
Il sait très bien qu'il y a peu de chances pour qu'un directeur
de banque achète un de ses tableaux afin de l'installer
dans son hall d'accueil, mais il n'en a cure. Planté devant
son tableau, il ne rêve que d'une chose, déverser
sa vision d'un univers pouvant ressembler à un cauchemar
pour mieux y introduire une lumière rédemptrice.
Les toiles au climat fantasmagorique de Jocelyn Gasse tiennent
l'affiche jusqu'au 3 mars, à la Galerie des arts visuels,
255, boulevard Charest Est. Heures d'ouverture: du mercredi au
vendredi de 9 h 30 à 16 h 30, le samedi et le dimanche
de 13 h à 17 h.
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