21 février 2002 |
Déception dans le monde animal: les bourdons, ces modèles
d'ardeur, d'acharnement, d'abnégation et de zèle
au travail, ne donneraient pas toujours 110 % d'eux-mêmes.
C'est triste, mais c'est comme ça. En effet, les bourdons
lèveraient le pied de l'accélérateur lorsque
les réserves de nourriture de leur colonie se porteraient
bien. Ils adopteraient ce comportement pour éviter, littéralement,
de se tuer à la tâche.
C'est ce que soutient Luc Pelletier, étudiant-chercheur
de l'équipe du professeur Jeremy McNeil, du Département
de biologie, à la suite d'une minutieuse étude du
comportement de butinage des ouvrières. "La survie
et la croissance d'une colonie de bourdons dépendent de
l'accumulation de réserves alimentaires, rappelle-t-il.
Par contre, butiner est une activité coûteuse et
risquée. Plus un bourdon investit d'efforts dans le butinage,
moins longtemps il survit."
À la façon des fables, les recherches sur les insectes renferment-elles parfois une morale destinée aux humains?
La longévité d'une ouvrière varie de deux
à quatre semaines chez les bourdons. Pour plusieurs, l'usure
des ailes sonne, sans préavis, l'heure de la retraite:
insouciante, l'ouvrière affairée part pour un dernier
voyage dont elle ne rentre jamais. Beaucoup d'autres n'ont pas
la chance de connaître une fin aussi douce. Elles périssent
au printemps de leur vie, gobées par un oiseau, embusquées
par une araignée-crabe cachée dans une fleur ou
rongées par un parasite pondu dans leur corps - à
la façon Alien - par un autre insecte.
On comprend mieux pourquoi les ouvrières, lorsqu'elles
doivent choisir entre se donner à fond pour le bien de
la colonie ou se ménager un peu pour assurer leur propre
survie, ordonnent parfois leurs priorités en commençant
par elles-mêmes. Luc Pelletier en a fait la démonstration
en comparant l'intensité du butinage de colonies témoins
à celle de colonies dont il avait gonflé les réserves
alimentaires en leur fournissant sucrose et pollen. L'activité
de butinage, mesurée à l'aide de détecteurs
de mouvement installés à l'entrée de la ruche,
était 22 % plus faible dans les deux colonies recevant
une "aide alimentaire". "On ne sait pas encore
précisément ce que font les ouvrières de
ces colonies, mais certaines demeurent accrochées au mur
de la ruche où elles semblent tout simplement se reposer,
à l'abri du danger, note Luc Pelletier. Nos résultats
confirment l'hypothèse que, dans certaines conditions,
les ouvrières préfèrent éviter les
risques."
|