14 février 2002 |
Iconoclaste. Le terme vient spontanément à l'esprit
lorsqu'il est question du physicien Michel A. Duguay. Ce professeur
du Département de génie électrique et génie
informatique prend un malin plaisir à arpenter les frontières
de sa discipline pour tenter de voir ce qui se trouve de l'autre
côté et, à l'occasion, pour sauter la clôture.
Le curriculum vitae qu'il diffuse dans son site Web fait d'ailleurs
mention, sous la rubrique "Intérêts personnels",
de la relativité, du temps, de l'estime de soi et de la
philosophie des sciences. "Il n'y a pas de raisons pour que
la vérité soit toujours du côté des
physiciens, laisse-t-il tomber. Les philosophes aussi sont des
gens intelligents. Il faut considérer ce que la philosophie
a à nous apprendre, même sur des questions de physique."
Depuis son arrivée à l'Université en 1988,
Michel Duguay est souvent monté aux barricades. D'abord
pour défendre, contre vents et tempêtes de neige,
la filière de l'énergie solaire dans ce froid pays
qui est le nôtre. Ensuite, pour promouvoir l'utilisation
d'Internet dans les programmes de formation, avant que ce ne soit
in. Depuis 1996, son laboratoire virtuel sert à
la formation d'étudiants au bac de même qu'à
la formation continue de spécialistes déjà
sur le marché du travail. Enfin, en 1999, il entreprenait
une nouvelle croisade en faveur du déploiement de liens
à haute vitesse sur le campus, affirmant même qu'il
ne recommanderait à personne "d'étudier dans
une université qui ne possède pas un tel réseau.
Ce serait comme étudier dans une université qui
n'a pas de livres."
Toutes ces batailles ne sont cependant que des amuse-gueules en
comparaison à ce qui l'attend au cours des prochains mois.
Michel Albert Duguay rendra bientôt publiques des idées
qui risquent d'écorcher Albert Einstein au passage. Des
idées qui trouveront beaucoup d'opposition sur leur route
parce qu'elles relèvent plusieurs failles dans la forteresse
de la relativité restreinte. "Je contredis Einstein
sur plusieurs points et j'ose dire qu'il est temps de réviser
sa théorie."
Vision diachronique
La relativité restreinte, énoncée par
Einstein en 1905, est l'une des théories qui parvient le
mieux à expliquer l'espace, le temps et l'univers. La génération
de physiciens qui lui a succédé a cependant élaboré
une autre approche, la mécanique quantique, pour expliquer
le comportement de la matière et de l'énergie à
l'échelle atomique et subatomique. Agacé par cette
théorie, Einstein, en collaboration avec ses collègues
Podolsky et Rosen, avait imaginé une expérience,
irréalisable à l'époque, pour prouver les
faiblesses de la mécanique quantique. Quelques décennies
plus tard, grâce à des appareils sophistiqués,
des physiciens ont finalement pu réaliser cette expérience
dont les conclusions, en accord avec les prédictions de
la mécanique quantique, donnaient tort au père de
la relativité.
Depuis, la recherche d'un pont pour marier la relativité
et la mécanique quantique ou d'un nouveau modèle
pour expliquer l'univers est devenue la version contemporaine
de la quête du mouvement perpétuel entreprise par
les physiciens des siècles passés. "Il ne se
passe pas une semaine sans que quelqu'un ne publie une nouvelle
théorie de l'univers qui choque les idées reçues",
constate Michel Duguay. Aux dires de plusieurs observateurs, cette
quête produit son lot de théories abracadabrantes,
mais aussi des propositions qu'il vaut la peine de considérer
pour en arriver à un modèle unifié en physique.
C'est dans ce contexte que Michel Duguay vient jeter sa théorie
dans la mare de moins en moins tranquille de la physique. Cette
théorie, qu'il a nommée approche diachronique, considère
l'univers dans une perspective temporelle. "Je propose une
vision différente d'observer la réalité physique
et de considérer l'espace-temps. Cette vision est à
la fois plus simple et plus réaliste que la relativité
restreinte. Elle nous oblige à réviser la conception
que nous avons de la structure de l'espace et du temps."
Dans l'approche diachronique, le photon est instantané,
sa vitesse est infinie et la lumière est un saut dans le
temps. "Mon modèle résout trois grands problèmes
de la physique moderne et personne parmi les chercheurs à
qui j'ai exposé mes idées jusqu'à présent
n'a trouvé de faille dans mon raisonnement."
Helmut Kröger, du Département de physique, génie
physique et optique est l'un de ceux-là. Il estime que
l'approche diachronique a le mérite de proposer une perspective
différente de l'univers qui pourrait sortir la physique
du conflit entre la relativité et la mécanique quantique.
"Michel Duguay a le guts de s'attaquer à un
problème superimportant en physique, résume-t-il.
Ça vaut la peine de soumettre ses idées à
l'examen publique."
Vaincre l'inertie
Michel Duguay est convaincu qu'il tient quelque chose de gros
et il entend persister, signer et vivre avec les conséquences.
La première ébauche de sa théorie, élaborée
en 1987 alors qu'il était à l'emploi de Bell Laboratories,
ne lui a pas valu d'éloges. Ses patrons de l'époque
ont qualifié ses travaux de spéculations théologiques,
en l'invitant du même souffle à aller les poursuivre
ailleurs. Michel Duguay avoue que son hypothèse a évolué
en 17 ans, et que ce n'est que la veille du symbolique passage
à l'an 2000 qu'il a attaché ensemble toutes les
ficelles de sa théorie.
Aujourd'hui, il sent l'urgence de faire connaître le fruit
de ses réflexions, avant que quelqu'un d'autre n'arrive
avec une proposition similaire. Le manuscrit qu'il a soumis sur
la question à une revue scientifique est en processus d'évaluation
depuis bientôt un an. "Je ne m'étonne pas de
l'accueil peu enthousiaste réservé à ma théorie.
Il y a une grande inertie face aux nouvelles idées en science.
Einstein lui-même a subi cette résistance. II a reçu
le prix Nobel en 1921 pour des travaux sur l'effet photoélectrique,
qu'il avait réalisés en 1905. Il a donc fallu 16
ans pour qu'on reconnaisse la valeur de ses travaux sur le sujet,
mais il y a pire. En aucun temps, l'Académie Nobel fait
mention de ses travaux sur la relativité parce qu'ils étaient
toujours controversés même s'ils dataient eux aussi
de 1905."
Malgré tout, Michel Duguay demeure optimiste face à
l'accueil que recevront ses idées. "Les esprits sont
plus ouverts maintenant qu'ils ne l'étaient au début
du 20e siècle. Je crois fermement que dans 16 mois, ma
théorie sera admise comme une vue possible de la réalité."
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