7 février 2002 |
Les médias font régulièrement mention
de pays où se déroulent des conflits armés
du type guerre civile. Dans les années 1990 par exemple,
l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont défrayé la chronique
pour la violence particulièrement meurtrière avec
laquelle des groupes de citoyens se sont affrontés. "Les
guerres civiles sont des échecs des institutions",
affirme Jean-Pierre Derriennic, professeur au Département
de science politique, auteur d'un ouvrage sur les guerres civiles
publié en France en 2001 et conférencier, le mercredi
30 janvier au pavillon Charles-De Koninck, lors d'une rencontre
organisée par l'Institut québécois des hautes
études internationales. "Il y a des conflits qui sont
gérables pacifiquement pendant très longtemps dans
certaines sociétés, ajoute-t-il, et tout à
coup ils cessent de l'être parce que les institutions ont
cessé de jouer leur rôle."
Selon lui, une série d'événements, de décisions
et de hasards peuvent faire déboucher un conflit sur une
guerre civile. "Il y a des sociétés où
les possibilités sont très élevées,
indique-t-il. Dans quel pays la probabilité était-elle
plus élevée qu'en Afrique du Sud en 1985? Jusqu'à
présent, ils donnent l'impression d'être arrivés
à l'éviter."
Faiblesse des économies, faiblesse des États
Jean-Pierre Derriennic croit que les facteurs économiques
expliquent le mieux l'escalade qui mène à un conflit
violent. Ces facteurs sont, entre autres, la faiblesse du revenu
moyen et la faiblesse de la croissance économique. Les
États trop faibles sont aussi à blâmer puisque
la possibilité de se prémunir contre la guerre civile
dépend de l'institution étatique. "Les Congolais
ont besoin d'un État pour cesser de s'entretuer, dit-il.
Les Indonésiens sont en grand danger de perdre leur État
et les Colombiens ont besoin d'un État qui fonctionne."
"Ce qui s'est passé dans les avions du 11 septembre 2001 illustre de façon spectaculaire que les humains ne peuvent être complètement désarmés."
Dans son ouvrage, Les guerres civiles (Les Presses de Sciences-Po, Paris) Jean-Pierre Derriennic définit trois catégories de conflits pouvant conduire à une guerre civile. Ce sont les conflits à caractère partisan où les combattants choisissent leur camp, les conflits de nature socio-économique, et les conflits à caractère identitaire où les individus appartiennent de naissance à un groupe. Si le conflit entre Serbes et Croates dans l'ex-Yougoslavie est identitaire, la guerre civile espagnole de 1936 à 1939 a été un conflit de partisans. "On n'est pas communiste ou fasciste de naissance, c'est quelque chose que l'on choisit, explique-t-il. Mais le conflit a du mal à prendre fin dans l'ex-Yougoslavie parce qu'un Serbe est un enfant de Serbe, et qu'un Croate est un enfant de Croate."
Des idées élémentaires souvent ignorées
Le conférencier a souligné la diminution, dans
la seconde moitié du 20e siècle, du nombre de guerres
inter-étatiques et du nombre de soldats tués. L'augmentation
de l'espérance de vie expliquerait ce phénomène.
"Plus les humains sont habitués à l'idée
qu'on peut rester en vie longtemps, plus il devient difficile
de les persuader de faire la guerre", soutient Jean-Pierre
Derriennic. Par contre, le nombre de guerres civiles a augmenté.
Cela serait dû au nombre en hausse des États souverains
et au doublement de la population mondiale en cinquante ans. Il
ajoute que l'utilisation d'armes modernes se traduit par moins
de morts sur les champs de batailles. Ainsi, sur les quelque 30
millions de civils morts durant la Seconde Guerre mondiale, un
million "seulement" ont été tués
lors de bombardements aériens. Enfin, il est illusoire,
selon lui, de prôner le désarmement complet. "Ce
qui s'est passé dans les avions du 11 septembre 2001 illustre
de façon spectaculaire que les humains ne peuvent être
complètement désarmés", affirme-t-il.
Selon Jean-Pierre Derriennic, un monde idéal serait composé
d'États suffisamment forts pour empêcher la guerre
civile sur leur territoire et suffisamment interdépendants
vis-à-vis de leurs voisins pour ne pas être capables
de leur faire la guerre. "L'Europe, dit-il, s'est mise à
ressembler à ça."
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