31 janvier 2002 |
Thibault Martin, un diplômé en sociologie, enseigne
à l'Université de Winnipeg où il donne un
ensemble de cours sur les questions autochtones. Le jeudi 17 janvier,
il était sur le campus pour recevoir le Prix d'excellence
de la meilleure thèse de doctorat, une récompense
remise annuellement par le doyen de la Faculté des sciences
sociales. Sa thèse de près de 500 pages s'intitule:
Solidarités et intégration communautaire. Le
projet Grande-Baleine et le relogement des Inuits de Kuujjuarapik
à Umiujaq.
En 1986, 286 personnes, soit le tiers de la population du village
inuit de Kuujjuarapik, sur la côte est de la baie d'Hudson,
ont quitté volontairement leur village pour aller fonder,
à 160 kilomètres de là, la communauté
d'Umiujaq. Ce relogement, comme l'explique Thibault Martin dans
sa thèse, avait des airs de "retour aux sources"
puisqu'il découlait directement du fait que les villages
modernes inuits, composés de clans de différentes
origines, ne sont plus des communautés traditionnelles
où l'intérêt de chacun se confond avec celui
du groupe.
De nomades à sédentaires
La société inuite nomade traditionnelle s'est
modernisée à la suite d'événements
tels que l'arrivée des compagnies de traite des fourrures,
des missionnaires, de la construction domiciliaire et de la création
d'emplois. Désormais sédentarisées, ces communautés
ont vu les institutions modernes transformer leurs rapports sociaux.
L'argent, par exemple, a rendu indirects les échanges alors
que traditionnellement la communauté inuite fonctionnait
sur le don et la réciprocité généralisée.
"Des institutions comme l'argent et le marché ont
contribué à fragiliser les modes traditionnels de
cohésion, d'intégration, de solidarité et
de sociabilité, écrit Thibault Martin. Le salariat,
doublé de la construction de logements unifamiliaux entraîna,
par la suite, une montée de l'individualisme et un repli
des solidarités et de l'entraide sur la famille réduite."
Des pratiques caractéristiques comme le don de gibier ou
d'enfants, de même qu'une activité de base comme
la chasse, ont subi d'importantes mutations. Dans sa thèse,
Thibault Martin définit le don comme "la transaction
qui crée une circulation du lien social par l'établissement
d'une dette". "Nous avons vu, indique-t-il, qu'il y
a une forme de don qui ne crée pas de relation sociale,
soit la remise du gibier au programme gouvernemental qui supporte
la chasse, par lequel le chasseur n'entre pas en relation avec
les destinataires. Quant au principe de l'adoption légale
appliqué par les services sociaux, il permet à certains
parents d'obtenir un enfant sans contracter de dette."
Une modernité originale
Une des conclusions de la thèse est que les Inuits
du Nunavik ont construit une modernité originale et bien
à eux en combinant des institutions traditionnelles avec
des institutions modernes. "Il apparaît que les Inuits
n'ont pas passivement subi les politiques de sédentarisation,
mais ont aussi contribué au processus parce qu'ils voulaient
tirer le meilleur parti possible des initiatives de l'État
moderne, écrit Thibault Martin. Par exemple, ils ont négocié
l'abandon de leurs droits territoriaux contre une meilleure protection
de l'État." Selon lui, le don survit toujours et la
réciprocité, quoique différente, est toujours
agissante. Bref, il s'agit d'un modèle social unique.
"Si la population inuite et ses leaders choisissent
de mettre des efforts dans le maintien de leur langue et de leurs
activités traditionnelles telles la chasse, oui ils se
maintiendront différents", affirme Thibault Martin.
Il met cependant en garde contre les effets de la mondialisation
en cours et ses valeurs de réussite individuelle, de prospérité
économique et d'individualisme. Selon lui, il faut rechercher
un équilibre entre l'implication dans le monde moderne
et la défense des traditions, un objectif qui sous-entend
un rapatriement des pouvoirs. "C'est, me semble-t-il, ce
que font les Inuits du Québec. Ils sont en voie d'obtenir
un gouvernement régional pour le Nunavik."
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