31 janvier 2002 |
Une équipe du Centre de recherche en infectiologie (CRI)
de l'Université Laval vient de franchir une étape importante dans la mise au
point d'un premier vaccin contre les leishmanioses, une infection
qui frappe 12 millions de personnes sur la planète. Les
chercheurs ont réussi à créer, par manipulations
génétiques, une souche amoindrie du parasite responsable
de la maladie, Leishmania donovani. Injectés à
des souris de laboratoire, ces parasites mutants ont démontré
une virulence beaucoup plus faible que la souche naturelle, ce
qui permet au système immunitaire de réagir face
à l'envahisseur. Les chercheurs Barbara Papadopoulou, Gaétan
Roy, Marie Breton, Christophe Kundig, Carole Dumas, Isabelle Fillion,
Ajay Singh, Martin Olivier et Marc Ouellette publient les détails
de leur découverte dans le numéro de janvier de
la revue scientifique Infection and Immunity.
L'équipe du CRI a produit la souche mutante de Leishmania
en altérant le gène responsable du transport de
la bioptérine chez le parasite. "Les ptérines
sont essentielles à la croissance de ces protozoaires,
précise Barbara Papadopoulou. Ce sont des cofacteurs importants
de la synthèse d'ADN. Chez la variété que
nous avons créée, le transport de ptérines
est stoppé, ce qui ralentit considérablement la
croissance et la multiplication de Leishmania. Les parasites ne
meurent pas tout de suite, mais ils se répliquent très
lentement, ce qui donne suffisamment de temps pour que la réponse
immunitaire s'organise."
Les chercheurs ont observé que des cellules provenant de souris
vaccinées à l'aide de la souche amoindrie produisaient
de l'interféron lorsqu'elles étaient mises en présence
de la souche virulente. "C'est une indication claire que
le système immunitaire répond à la présence
du parasite", soutient Barbara Papadopoulou.
80 000 décès par an
L'équipe du CRI a fait breveter la technologie qui
lui a permis de créer la souche amoindrie du parasite,
mais le vaccin risque de se faire attendre encore un certain temps.
"Des spécialistes américains nous ont confirmé
que notre approche était parfaite et que notre vaccin était
présentement le seul qui pouvait être vraiment efficace
contre les leishmanioses, souligne Barbara Papadopoulou. Cependant,
les organismes de contrôle ont beaucoup de réticence
à approuver des vaccins fabriqués à partir
de souches qui étaient pathogènes au départ.
Ils craignent que le parasite redevienne pathogène à
la suite d'une mutation. Pour l'instant, notre souche ne pourrait
être utilisée que localement, dans des cas spéciaux,
suite à des ententes entre gouvernements. C'est pourquoi
nous travaillons également à la production de vaccins
élaborés à partir de souches de Leishmania
qui ne causent pas de maladie chez l'homme."
Il existe environ 17 espèces du genre Leishmania réparties
dans 88 pays sur les cinq continents, mais Leishmania donovani
est l'espèce qui cause le plus de problèmes aux
populations humaines. Chaque année, l'Organisation mondiale
de la santé signale 500 000 nouveaux cas de leishmaniose
et près de 80 000 décès. "C'est une
maladie qui sévit dans les pays pauvres, de sorte qu'elle
est peu connue ici", signale Barbara Papadopoulou. La maladie
frappe là où vit la mouche des sables, l'hôte
intermédiaire du parasite, ce qui signifie que 350 millions
de personnes pourraient l'attraper.
Le parasite s'active après avoir été "avalé"
par des cellules de défense du corps humain, appelées
macrophages. Il se multiplie dans ces cellules et cause leur éclatement.
Les parasites libérés sont avalés par d'autres
macrophages et le cycle continue, ce qui affaiblit progressivement
le système immunitaire de l'hôte, ouvrant la voie
aux infections opportunistes.
Dans les pays en voie de développement, on soigne encore
les leishmanioses comme dans les années 1930, par injections
quotidiennes d'antimoine, un élément chimique aux
propriétés voisines de l'arsenic. Le traitement
dure un mois et coûte plus de 200$, ce qui le met hors de
portée de la majorité des malades. "C'est pour
cette raison que nous croyons que la solution réside davantage
dans la mise au point d'un vaccin destiné aux populations
à risque", insiste Barbara Papadopoulou.
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