31 janvier 2002 |
Représentation du mal chez les chrétiens, le diable
a servi d'instrument privilégié à l'Église
catholique pour asseoir son pouvoir au cours du Moyen Âge
européen, soit du 4e au 17e siècle. Dans le but
de transformer les rapports sociaux, la principale institution
du temps associait le diable à tous ceux et celles qui
ne se conformaient pas à sa vision du monde. Cette stratégie
reposait notamment sur les sermons, les écrits et les images.
Telles sont les grandes lignes de la conférence prononcée
le mercredi 23 janvier au pavillon Charles-De Koninck par Didier
Méhu, professeur adjoint du Département d'histoire
et spécialiste de l'histoire sociale du Moyen Âge.
Selon lui, l'Église catholique jouait sur une série
d'oppositions structurelles fondamentales pour sa représentation
du monde, par exemple le vrai et le faux, le sacré et le
profane, le spirituel et le charnel. "Le diable était
toujours présent du côté négatif des
choses, précise-t-il. Mais plus vous approchiez de ce qui
est spirituel, céleste, par l'intermédiaire des
ecclésiastiques et des lieux de culte, moins vous aviez
de chances de tomber dans ses griffes."
De la discrétion à l'omniprésence
Entre les 4e et 10e siècles, le diable se fait plutôt
discret. On en parle peu et il existe peu d'images à son
sujet. On le perçoit conformément au rôle
qu'il tient dans la Bible, soit un ange rebelle expulsé
du paradis avec ses semblables et qui sert d'instrument à
Dieu pour mettre à l'épreuve la foi des humains,
en particulier celle des plus purs et des plus pieux. "Une
transformation s'opère entre les 9e et 12e siècles,
indique Didier Méhu. L'Église connaît alors
un premier stade de développement important par son association
étroite avec les princes laïcs pour gouverner la chrétienté.
La réforme grégorienne voit apparaître le
droit canonique, développe le réseau des paroisses
et impose la chasteté à tous les ecclésiastiques.
Les premiers à recourir au diable seront les moines puisque,
tournés vers le spirituel, une de leurs préoccupations
principales est de s'extraire du monde charnel."
Un diable d'un nouveau type apparaît au début du
11e siècle. Dans son livre d'Histoires, un moine
du monastère de Cluny nommé Raoul Glaber relate
son expérience. Une nuit, il aurait été réveillé
en sursaut par un petit homme laid, maigre et bossu à la
bouche proéminente et portant une barbiche de bouc. "Le
diable s'adresse maintenant aux êtres faibles et il apparaît
à des moments précis, explique Didier Méhu.
Pour le chasser, il faut notamment prier ou faire une offrande
à la Vierge. Dieu lui sera toujours supérieur."
Un autre manuscrit, écrit celui-là au monastère
de Saint Séver à la fin du 10e siècle, contient
la première image du diable féodal. Ce dernier déploie
des ailes d'ange clairsemées et ses cheveux sont hirsutes.
Ses yeux et sa bouche sont énormes et il porte une petite
barbe de bouc. Ses pieds se terminent par des griffes.
De nouveaux moyens de lutte
Le diable est associé aux sept péchés
capitaux, mais aussi au paganisme et au judaïsme, à
l'argent et à l'homosexualité. Comme nouveau moyen
d'action contre lui, on invente le livre d'heures. Les portails
des églises gothiques s'ornent à hauteur humaine
de sculptures didactiques présentant des sujets clairs
et forts, notamment le Jugement dernier. Les religieux font des
prêches en langue vernaculaire sur les places publiques.
On développe même le thème du pacte avec le
diable qui servira à justifier une série d'actions
répressives à grande échelle, notamment à
l'endroit des hérétiques cathares, des juifs et
des personnes s'adonnant à la sorcellerie.
L'Église catholique a discrètement évacué
le diable depuis les années 1960. Didier Méhu souligne
cependant que la référence au diable joue encore
aujourd'hui un rôle non négligeable, notamment en
politique internationale.
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