24 janvier 2002 |
Il leur aura fallu deux décennies d'essais, mais les physiciens sont finalement parvenus à démontrer que, tout comme l'eau qui passe de l'état liquide à l'état gazeux, le noyau des atomes peut changer de phase. Prédit par la physique théorique, ce comportement du noyau atomique vient d'être confirmé expérimentalement pour la première fois par un groupe de chercheurs, auquel est associé Luc Beaulieu, chercheur au Département de physique, génie physique et optique ainsi qu'au Centre de recherche de l'Hôtel-Dieu de Québec. Le groupe de chercheurs américains, avec lequel il travaille, a publié, dans l'édition du 8 janvier de la revue Physical Review, les détails de l'expérience qui a conduit à cette démonstration.
Infiniment petit
Les physiciens ont de bonnes raisons pour avoir mis tant d'années
à démontrer l'existence d'un changement de phase
du noyau. D'abord, pour vaporiser un noyau d'atome, il faut des
températures de l'ordre de 100 milliards de degrés
Kelvin. La seule façon connue d'obtenir de telles températures
sur Terre est de bombarder le noyau avec un faisceau de particules
voyageant à des vitesses près de celle de la lumière.
Ensuite se pose le problème de mesurer un phénomène
qui dure une fraction d'un milliardième de seconde dans
un noyau dont la dimension est 10 000 fois inférieure à
celle de l'atome, lui-même déjà minuscule.
C'est le tour de force qu'a réussi le groupe de Luc Beaulieu
en faisant appel à l'équipement sophistiqué
du Brookhaven National Laboratory AGS Nuclear Particle Accelerator,
situé dans l'État de New York. Les chercheurs ont
bombardé des noyaux d'or - reconnus pour se comporter comme
un liquide - avec un faisceau de protons et de pions. "Les
particules entrent en collision avec le noyau d'or et, selon la
force de l'impact, différents fragments sont éjectés,
explique Luc Beaulieu. Nos appareils mesurent l'identité,
la direction et la vitesse de chaque débris éjecté
en fonction de la violence de la collision. Par la suite, nous
faisons le même travail qu'un expert qui essaie de reconstituer
à rebours chaque étape qui suit l'explosion d'une
bombe."
Astronomiquement grand
L'exercice permet d'inférer, pour le noyau, des caractéristiques
équivalentes à la température et la pression
d'évaporation. Les chercheurs peuvent ainsi tracer une
courbe très similaire au diagramme de phase qui décrit,
en fonction de la pression et de la température, le passage
de la forme liquide à la forme gazeuse d'un élément
ou d'une molécule. "C'est la première fois
que l'on parvient à produire un diagramme de phase pour
un système où les particules sont liées par
la force nucléaire plutôt que par la force électromagnétique,
souligne Luc Beaulieu. Le résultat que l'on obtient est
tout à fait similaire aux diagrammes de phase qu'on trouve
dans n'importe quel livre de physique depuis un siècle.
Il y a un parallèle intéressant parce que le comportement
des molécules et du noyau est semblable (le noyau répond
aux équations de physique comme un gaz parfait). Cependant,
l'échelle de grandeur des forces en cause est tout à
fait différente." À titre d'exemple, le krypton
bout à 209 degrés Kelvin alors que son noyau entre
en "ébullition" à des températures
400 millions de fois plus élevées.
Curieusement, la démonstration faite par les chercheurs
sur des particules infiniment petites aura ses principales répercussions
dans l'astronomiquement grand. "Le système que nous
décrivons permet de prédire comment va se comporter
la matière soumise à des conditions extrêmes
de températures et de pressions, comme celles qu'on retrouve
dans certaines étoiles, affirme Luc Beaulieu. Il peut nous
aider à mieux comprendre ce qui se passe dans les étoiles
à neutrons et dans les supernovae. Il pourrait même
nous aider à déterminer ce qui s'est produit dans
les premiers instants qui ont suivi le Big Bang, lorsque la matière
est passée de l'état gazeux à l'état
de plasma."
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