24 janvier 2002 |
L'article du Code criminel qui autorise les parents à
utiliser la fessée sera difficile à changer pour
la simple raison que 50 % des familles canadiennes ont encore
recours à ce moyen de correction pour "éduquer"
leurs enfants. Voilà l'avis qu'émet le professeur
de pédiatrie Jean Labbé, de la Faculté de
médecine, au lendemain de la décision de la Cour
d'appel ontarienne qui reconnaît le droit des parents, ou
des personnes exerçant l'autorité, d'administrer
la fessée à un enfant en utilisant "une force
raisonnable". Cette position résignée ne l'empêche
toutefois pas de prédire la disparition prochaine de ce
châtiment corporel.
"La décision de la cour ne va pas dans le sens que
je souhaiterais, mais elle ne me surprend pas, parce que le juge
a tout simplement appliqué la loi, commente Jean Labbé.
Il faudrait que le législateur modifie le Code criminel,
mais comme la population canadienne est très divisée
sur le sujet, la solution ne peut venir que d'un politicien qui
aura le courage de faire avancer les choses, quitte à se
mettre à dos la moitié des électeurs."
Archaïsme
Au Québec, le nouveau Code civil a fait disparaître
le droit à la correction physique des enfants, signale
le pédiatre: "Il ne l'interdit pas, mais il ne la
permet pas non plus." Par contre, l'article 43 du Code criminel
canadien, qui vise la protection des personnes exerçant
l'autorité (instituteur, père, mère), autorise
l'emploi de "la force pour corriger un élève
ou un enfant pourvu que la force ne dépasse pas la mesure
raisonnable dans les circonstances."
"Je suis de ceux qui pensent que la fessée est un
mode d'éducation archaïque, transmis de génération
en génération, dit Jean Labbé. Notre société
a beaucoup progressé sur le plan des droits des enfants,
mais il lui reste encore du chemin à faire." S'il
existe des cours pour préparer les nouveaux parents à
bien veiller sur leur nouveau-né, on n'enseigne nulle part
à devenir de bons parents. "Les gens ont tendance
à éduquer leurs enfants comme ils ont été
élevés, signale le pédiatre. Ce que l'on
croit acceptable dépend de ce que l'on a vécu et
de l'influence du milieu social."
À titre de pédiatre et de spécialiste en
protection de l'enfance, Jean Labbé voit régulièrement
des enfants qui ont reçu des fessées. "J'essaie
de parler aux parents et de leur faire comprendre qu'il y a d'autres
méthodes de discipline. Pour un enfant, être frappé
par quelqu'un qui l'aime et qui lui veut du bien est un message
très difficile à comprendre."
Dérapage
La fessée "raisonnable dans les circonstances"
demeure un concept assez flou. "Chose certaine, précise
Jean Labbé, pour être qualifiée de raisonnable,
une fessée ne doit pas faire appel à un objet et
elle ne doit laisser aucune marque physique. Si la fessée
laisse des traces, ça justifie un signalement à
la DPJ." Des coups violents, appliqués sur les fesses,
peuvent provoquer une hémorragie et conduire à la
mort, poursuit-il. "Mais, ce que je vois le plus souvent
est un dérapage de la violence. Le parent commence par
donner une fessée, il s'emporte et passe ensuite à
des formes de violence plus graves, en frappant l'enfant ailleurs
que sur les fesses."
Malgré tout, Jean Labbé demeure optimiste. "Il
y a eu des progrès notables au cours des dernières
années. Par exemple, la société et les tribunaux
reconnaissent que le recours aux instruments de correction comme
le bâton, la verge ou la lanière de cuir dépasse
la force raisonnable. La décision que vient de rendre le
tribunal ontarien dit que la fessée est acceptable, et
sur le plan légal, c'est encore vrai. Par contre, ça
ne clôt pas la discussion pour autant. Nous sommes dans
un processus en évolution et je suis persuadé que
dans quelques années, la fessée disparaîtra
dans notre société."
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