17 janvier 2002 |
En juin dernier, l'étudiant-chercheur Daniel Fortier
marchait dans un parc national lorsqu'il a posé le pied
sur un petit tronc d'arbre. En une fraction de secondes, toutes
ses connaissances sur la géologie, la climatologie et la
biogéographie se sont bousculées dans son esprit
et le déclic s'est produit. "J'ai su immédiatement
que je venais de découvrir quelque chose de très
important, raconte-t-il. J'ai eu une chance incalculable."
L'aventure de Daniel Fortier serait banale si le parc où
il se trouvait alors n'avait été celui de Sirmilik,
situé sur l'île Bylot, dans l'Arctique canadien,
là où aucun arbre digne de ce nom n'a poussé
depuis des centaines de milliers d'années.
Intrigués par ce vestige d'arbre, l'étudiant-chercheur
et son directeur de thèse, Michel Allard, du Centre d'études
nordiques (CEN), ont cherché pendant une partie de l'été
d'où il pouvait provenir. "À plusieurs reprises,
quand mes travaux de doctorat sur le pergélisol m'en laissaient
le temps, je remontais le torrent près duquel j'avais trouvé
le morceau d'arbre, raconte Daniel Fortier. J'en ai découvert
d'autres et, finalement, à la fin de l'été,
nous sommes arrivés à leur lieu d'origine."
Au sommet de la montagne, dans l'amphithéâtre d'un
grand ravin de la vallée du glacier C-79, à 500
mètres au-dessus du niveau de la mer, ils ont découvert
une forêt fossile vieille de 2 millions d'années.
Arctique chaud
Située 20 mètres sous la surface du sol, cette
forêt a été mise au jour par le torrent, qui
lui arrachait, à l'occasion, quelques vestiges. "Le
site est trop haut pour que ces arbres aient pu être apportés
là par la mer, précise d'emblée l'étudiant-chercheur.
Nous ne voyons aucune explication qui pourrait expliquer leur
présence sinon qu'ils ont poussé sur place. De plus,
nous avons trouvé des restes bien préservés
de plantes herbacées, de racines, de feuilles, de branches
et de graines, ce qui confirme que le site abritait bien une forêt."
La forêt fossile est située sous des dépôts
glaciaires qui datent de 1,6 million d'années. Les chercheurs
estiment donc que son âge se situe quelque part entre 1,6
million et 3 millions d'années. C'est donc dire qu'à
cette époque, le climat de l'île Bylot correspondait
à celui qui prévaut aujourd'hui au centre du Québec,
quelque 1 500 kilomètres plus au sud. "C'est tout
un changement climatique", commente Daniel Fortier.
De nombreux échantillons, rapportés de l'île
Bylot, font présentement l'objet d'analyses dans les laboratoires
du CEN. "Nous tentons de reconstituer cet écosystème
et le paléoclimat en étudiant les restes d'arbres,
de plantes, de pollen et d'insectes qui s'y trouvent, signale
Michel Allard. Nous faisons appel à des spécialistes
de chacun de ces domaines pour tirer le maximum d'informations
de ces échantillons."
Cette forêt semble surtout composée d'épinettes,
dont certaines font 20 cm de diamètre, mais on y trouverait
aussi des feuillus. L'un des troncs rapportés par les chercheurs
porte les traces de dents d'un rongeur, qui serait, selon toute
vraisemblance, un castor! L'analyse des vestiges d'insectes, confiée
à Claude Lavoie du Département d'aménagement,
pourrait révéler la présence d'espèces
maintenant disparues, anticipe Daniel Fortier.
L'avenir garant du passé
Il existerait seulement trois autres sites du même genre
à travers le monde. "Il faut des conditions très
spéciales pour former des forêts fossiles et pour
les conserver, précise Daniel Fortier. Nous ignorons comment
il se fait que les glaciations du Quaternaire n'ont pas complètement
détruit cette forêt."
Le parc Sirmilik a été créé en 1999,
avant la découverte de la forêt fossile. "Les
responsables de Parcs Canada ignoraient son existence, mais ils
en mesurent bien l'importance maintenant", souligne l'étudiant-chercheur.
Les mesures de protection du site constituent l'un des items qui
seront discutés lors d'une réunion convoquée
par les autorités de Parcs Canada, en début février,
à Ottawa.
L'équipe du CEN entend retourner sur le site l'été
prochain pour arracher davantage de secrets à ce rare témoin
d'un passé lointain. "Cette forêt peut nous
en apprendre beaucoup sur le passé, mais aussi sur l'avenir,
estime Daniel Fortier. Si la concentration de CO2 atmosphérique
devait doubler, comme le prévoient certains spécialistes,
la végétation qu'on retrouverait dans l'Arctique
devrait ressembler, à peu de choses près, à
la forêt fossile que nous avons découverte."
|