10 janvier 2002 |
UN AVERTISSEMENT ET UN RÉPIT
J'ai eu très peur, très très peur que
ne se cristallisent, à l'occasion du rituel plutôt
banal du renouvellement de la convention collective des professeurs,
les multiples malaises diffus qui grippent de plus en plus l'Université
Laval dans presque tous ses recoins. Et que les deux co-gestionnaires
ne s'enferment dans une prise mortelle pour tous, aux applaudissements
de trop nombreux badauds.
Merci aux réseaux, complicités et personnes qui
ont évité que le ciel nous tombe sur la tête,
qui nous ont permis de glisser encore et de gagner deux autres
années.
Il ne faudrait pas gaspiller ce répit, comme nous l'avons
largement fait de la décennie 1990. En effet, depuis au
moins le milieu des années 1980 (du moins depuis ma première
nomination comme doyen de la Faculté des arts en 1987),
je n'ai pas vu ni le syndicat, ni la direction, s'attaquer sérieusement,
du moins pas explicitement et efficacement, à divers problèmes
de fond qui n'ont fait que s'alourdir depuis. Pour ceux que ce
diagnostic sommaire pourrait intéresser, et peut-être
stimuler à l'action, je me permets d'en rappeler ici quelques-uns:
1) le contrat de base que Laval passe avec les étudiants "faibles" qui repose aujourd'hui sur leur "droit au diplôme", d'ailleurs sanctifié par le ministre Legault. Évidemment, tous les domaines ne sont pas touchés de manière également aiguë par cette question puisque au fil du temps des mécanismes divers se sont mis en place pour organiser l'aiguillage des bons, et des autres, par exemple l'exigence d'une habileté mathématique dans certaines domaines ou la performance scolaire parfaite pour la médecine, etc. On peut cependant penser que, dans l'ensemble, la position de l'Université face aux étudiants faibles en est une de "faiblesse" croissante. Il faudrait pourtant, pour notre salut et le leur, travailler à inverser la relation, par exemple à l'aide d'un dépistage courageux, d'un suivi individualisé et encadré solidement, ainsi que des sanctions effectives et notoires;
2) la modulation de la tâche des professeurs (le cocktail des enseignements, des encadrements, de la recherche et du rayonnement), de plus en plus paralysée par le secret qui entoure leur rapport annuel d'activités, et par la fixation comptable des uns et des autres sur les seules tâches d'enseignement au premier cycle;
3) la rigidité de la définition du statut de professeur, qui double la rigidité de la modulation des tâches, pour bloquer une réponse souple et efficace aux demandes croissantes d'enseignement professionnel, en plus de vicier le développement des statuts de chargés de cours, de professeurs (chercheurs) subventionnels et de responsables de formation pratique;
4) la dislocation croissante des solidarités induite par les priorités (et les contrôles) des organismes subventionnaires, par les politiques des gouvernements en matière de recherche ciblée, dont notamment par les chaires et autres centres d'excellence du gouvernement fédéral (sans parler de la stérile compétition stimulée en matière de recrutement de professeurs-chercheurs entre universités et entre départements). Les effets pervers les plus récents du silence ont entouré de ridicule les normes éthiques de la recherche, et au-delà la préoccupation même de l'éthique, que l'on a bureaucratisée inconsidérément. Le mieux est ici clairement l'ennemi du bien. Il faudrait reconquérir la liberté de discuter et de critiquer publiquement les bailleurs de fonds qui, par ailleurs, coupent les fonds réguliers, davantage libres de servitudes;
5) l'enfermement officiel de Laval dans sa superbe d'université
d'envergure internationale et de membre du peloton canadien de
tête, alors que l'Est du Québec, qui la fait vivre,
dépérit à vue d'oeil. À l'évidence,
il faudrait initier une concertation avec les autres universités
de l'Est. Il faudrait aussi faire le ménage dans les programmes
pour établir où il vaut la peine de foncer pour
soutenir ou réinventer un rayonnement supra régional,
canadien, continental et international.
Comme ailleurs, le symptôme du fissurage de l'édifice
est sans doute l'opacité croissante du fonctionnement,
couvert par une langue de bois. La clé principale d'une
relance se trouve donc en partie au moins du côté
de la transparence, devenue périlleuse dans les années
1980 aux yeux de la majorité au fur et à mesure
que décroissaient les ressources et que chacun essayait
de préserver sa part et sa retraite.
Il me semble que cette stratégie est maintenant épuisée.
Ce n'est plus qu'une question de mois - au maximum deux ans -
avant que n'arrive un sérieux moment de vérité.
Il faudrait s'y préparer en se désencrassant quelque
peu, par nous-mêmes.
RÉPONSE AU RECTEUR
Monsieur le recteur, nous avons pris connaissance de votre
lettre publiée dans le journal Au fil des événements
du 13 décembre dernier. Encore une fois, nous n'avons pas
été surpris par le contenu de votre message: il
y en a supposément pour tout le monde, en particulier pour
les professeurs qui, effectivement ont vu leurs tâches s'alourdir.
Mais, comme à l'habitude, le personnel de soutien que nous
représentons a été complètement oublié
sauf si ce n'est que pour une simple formule de politesse.
Nous aimerions vous rappeler que le personnel de soutien est passé
de 2 500 personnes il y a quelques années à 1600
personnes. Les tâches du personnel de soutien se sont alourdies
de manière dramatique, sans jamais qu'il y ait une véritable
reconnaissance du travail exécuté par ces hommes
et ces femmes. Non seulement l'augmentation de la tâche
n'est pas reconnue, mais l'absence de l'ajustement salariale de
1,5 % est discriminatoire compte tenu que les autres membres du
personnel de l'Université Laval l'ont reçu tout
comme l'ensemble du personnel du secteur public et parapublic.
Comme vous le dites si bien, des nouvelles tâches sont effectivement
apparues. Bien que nous les accomplissions avec compétence
et diligence, nous ne pouvons même pas les officialiser
lors d'affichage, cette expérience n'étant pas
reconnue ! Sans doute avons-nous affaire à une compétence
à "géométrie variable" !
Dans votre message, vous dites que l'Université offre une
"rémunération globale concurrentielle".
Peut-être pour les professeurs, mais certainement pas pour
le personnel que nous représentons. Par exemple, ailleurs
dans le réseau universitaire, les menuisiers gagnent jusqu'à
1 $ de l'heure de plus. Concurrentielle dites-vous ! Permettez-nous
d'en douter alors que l'Université est incapable d'embaucher
du personnel de métier avec les salaires que vous offrez
!
Permettez-nous finalement de vous rappeler que nous entrerons
sous peu en négociations et que nous nous souviendrons
de votre lettre. Le personnel de soutien mérite mieux qu'une
poignée de main et une tape dans le dos.
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