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Les effectifs du troupeau de caribou de la rivière George
seraient en déclin rapide depuis le début des années
1990. C'est ce qu'ont découvert deux chercheurs en étudiant
l'abondance relative des traces laissées par le passage
de ces cervidés dans les maigres forêts de la vaste
péninsule du Québec-Labrador. Stéphane Boudreau
et Serge Payette, du Département de biologie et du Centre
d'études nordiques (CEN), ont livré les détails
de cette étude lors du 22e Colloque annuel du CEN, qui
se déroulait les 10 et 11 décembre au pavillon Desjardins.
Les deux chercheurs ont estimé les fluctuations de population
du troupeau de la rivière George depuis 1975, en utilisant
la méthode de cicatrices de piétinement mise au
point par Claude Morneau et Serge Payette. Cette méthode
consiste à dénombrer les cicatrices de sabots laissées
par les caribous sur les racines superficielles et les branches
rampantes des épinettes. Les blessures ainsi infligées
aux arbres provoquent des cicatrices facilement repérables
dans une coupe transversale de branche ou de racine. Grâce
aux anneaux de croissance, les chercheurs peuvent "remonter
le temps" et dater l'année où chacune des cicatrices
a été formée. En étudiant les fluctuations
des cicatrices dans le temps, ils dressent un portrait assez fidèle
de l'activité des caribous, et conséquemment, des
changements relatifs dans le nombre de bêtes qui composaient
le troupeau à un moment donné dans le temps.
Selon les analyses effectuées par Stéphane Boudreau
et Serge Payette, le troupeau de la rivière George aurait
connu une croissance continue entre 1975 et 1989, avant d'entrer
en déclin rapide à partir de 1990. "Une autre
explication serait que les caribous ont changé de route
migratoire, abaissant d'autant le piétinement des arbustes
dans les sites inventoriés, avance Stéphane Boudreau.
Cependant, le suivi télémétrique de caribous,
effectué entre 1991 et 1999, indique plutôt une tendance
à la hausse dans l'utilisation de ces sites."
Les caribous à la trace
Le troupeau de la rivière George comptait moins de
10 000 bêtes jusqu'en 1960, mais il a connu une explosion
spectaculaire qui l'a amené à près de 800
000 têtes en 1993. Depuis quelques années, les biologistes
anticipent un crash à cause de certains indices annonciateurs:
baisse du taux de reproduction, réduction des réserves
de graisses des femelles et taux de croissance des jeunes plus
faible que dans l'autre grand troupeau du Nord québécois.
Cependant, les inventaires aériens ne confirmaient pas
ce déclin.
Les inventaires de troupeaux de caribou posent certains problèmes
en raison de l'amplitude des déplacements effectués,
au gré des saisons, par ces bêtes grégaires,
souligne Stéphane Boudreau. "La marge d'erreur des
inventaires est d'environ 30 %, de sorte qu'il est difficile de
détecter des tendances, ajoute-t-il. La méthode
des cicatrices de piétinement donne une meilleure indication
de ce qui se passe réellement sur le terrain. Par contre,
elle ne permet pas de chiffrer les effectifs et il serait hasardeux
d'interpréter la baisse de 30 % des cicatrices entre 1993
et 1998, comme une baisse équivalente du troupeau. C'est
pourquoi nous proposons d'utiliser les deux méthodes de
façon complémentaire."
L'étude de Stéphane Boudreau et Serge Payette confirme
la validité de la méthode des cicatrices de piétinement
dans le suivi, à court terme, des populations de caribou.
En plus d'utiliser cette méthode pour suivre les hauts
et les bas des troupeaux, les biologistes pourraient donc en tirer
parti pour déterminer l'impact de la construction de barrages
hydroélectriques, de grands feux de forêts ou des
vols militaires à basse altitude sur la fréquentation
de certaines régions nordiques par les caribous.
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