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LE RIRE DE LEGAULT
Si l'actuel projet d'entente entre le SPUL et l'administration
de l'Université Laval a des chances d'être retenu
par l'histoire, ce sera assurément sous la figure d'une
comédie. Cette grève des professeurs, qui aurait
pu servir de rampe de lancement à une mobilisation plus
large contre la vision affairiste du ministre de l'Éducation,
semble, au contraire, avoir mené le syndicat à répéter
l'essentiel de l'esprit des contrats de performance en bouclant
le débat autour d'une affaire "d'investissement".
En effet, bien qu'il ait maintenu qu'il n'était pas question
que l'administration comble son manque à gagner en privant
les professeurs d'une cotisation "patronale" à
la caisse de retraite, le SPUL a pourtant choisi d'abandonner
à vau-leau une de ses revendications centrales, soit le
maintien du plancher d'emploi. En sachant que la caisse de retraite
constitue un fonds d'investissement pour spéculer en bourse
et génère d'importants profits, on voit que le SPUL
juge que la capacité d'investir de ses "membres"
actuels, des petits rentiers tout près de leur Liberté
55, est plus importante que l'embauche de nouveaux professeurs;
à cet égard, le syndicat des professeurs a tous
les attributs d'un syndic de faillite piloté par un exécutif
ayant un préjugé favorable au dicton "après
moi le déluge", et s'inscrit tout à fait dans
l'air du temps.
Cette erreur du SPUL est d'autant plus incompréhensible
que l'exécutif sait fort bien que l'essentiel du problème
provient d'ailleurs. Depuis que François Legault a été
assigné à l'éducation, l'université
et l'ensemble des institutions scolaires vivent un assujettissement
sans précédent aux jeux du marché et des
organisations, passant de l'impératif de transmission de
savoir à celui de la "formation" à l'emploi.
En signant les contrats de performance, les universités
du Québec se sont lancées dans une hallucinante
course au financement qui est en voie de liquider ce que trente
années de transmission ont su instituer au Québec:
un espace de réflexion relativement critique et autonome,
érigé à travers le pari de contribuer aux
avancées les plus significatives de notre civilisation
tout en maintenant une exigence d'accessibilité. Si les
coupures ont déstructuré passablement l'organisation
interne de l'université au Québec, elles laissent
présager que le type de "reconstruction" qui
sera progressivement mis en branle sera fondé sur une social-méritocratie.
Devant cela, le SPUL aurait pu saisir l'occasion d'être
plus fin que le ministre Legault, qui doit rire discrètement
de nous voir nous entre-déchirer ainsi: le rapport de force
développé face à l'administration aurait
pu être maintenu comme un refus d'opérer des choix
incohérents comme ceux qui sont en voie d'être consommés
avec le projet d'entente, et refuser en bloc l'orientation gestionnaire
actuelle de l'université. Le SPUL aurait pu saisir l'occasion
de se solidariser avec les autres secteurs qui sont touchés
depuis les années Bouchard par une série de compressions
budgétaires qui vont à l'encontre d'un certain idéal
de justice sociale que nous nous sommes donné collectivement.
Mais le projet d'entente est, au moment où j'écris,
encore un projet et le rire de Legault a encore le temps de virer
au jaune. L'aile réaliste du syndicat peut encore politiser
cette grève radicalement corporatiste où tout le
monde, jusqu'à maintenant, est ressorti perdant. Et les
étudiants ont à se mobiliser sans tarder face aux
urgences que pose cette conception de l'éducation administrée.
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