1 novembre 2001 |
La communication scientifique est une hydre insaisissable. Dès
qu'on croit avoir bien toisé toutes ses têtes, il
en surgit une nouvelle dont le regard cynique laisse entendre
que nous n'avons encore rien vu! C'est cet irrépressible
sentiment d'insaisissabilité qui se dégage des débats
de la première conférence publique présentée
par la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia, le
10 octobre, au Musée de la civilisation. Les propos du
conférencier invité, Martin Freeth, ex-producteur
à la BBC, de Bernard Descôteaux, directeur du journal
Le Devoir, de Jacques Dufresne, éditeur de la revue
Agora, et de l'auditoire forment un inextricable écheveau
d'énoncés qui semblent tous vrais, même ceux
qui se contredisent.
Le sauveur Internet
"La science à la télévision ne peut
jamais être objective et impartiale parce que l'objectivité
n'existe pas à la télé", a lancé
d'entrée de jeu Martin Freeth. L'ex-producteur de la BBC
en sait quelque chose puisque lui-même, pour les besoins
de ses propres tournages, a tripoté la vérité.
"Tous les producteurs de télé sont des tricheurs,
dit-il. Parfois, c'est pour des raisons de coûts ou de temps,
ou encore pour une question de disponibilité des personnes
interviewées, pour montrer un phénomène qui
ne se produit pas au moment du tournage ou pour resserrer le montage
dans l'espoir de soutenir l'intérêt des téléspectateurs."
Les critères actuels de rentabilité à la
télévision compromettent le mandat de service public
de ce média de communication, estime-t-il. Même la
BBC, longtemps considérée comme un modèle
en matière de télévision publique, n'y échappe
pas. "Les critères de la télévision
privée s'imposent partout, au point où il faut se
demander si l'idéal de service public peut survivre dans
le contexte actuel de mondialisation de la production télévisée."
La première conférence de la Chaire en journalisme scientifique soulève des doutes sur la qualité de l'information scientifique véhiculée par les médias
Aujourd'hui actif au sein de l'organisation National Endowment for Science, Technology and the Arts, Martin Freeth mise sur les nouvelles technologies de l'information et l'interactivité offerte par Internet pour maintenir bien vivant l'idéal de la communication axée sur le service public. "Un film de trois minutes comme 405 (http://www.405themovie.com/), qui comporte des effets spéciaux spectaculaires, n'a coûté que 1 100 $ à produire. Des artistes folk de Paris, Londres et New York ont donné un concert sur Internet en utilisant une connexion à large bande au coût de 10 000 $. Il y a dix ans, le même exercice aurait coûté 200 000 $ avec la technologie disponible alors. Bientôt, ces connexions seront disponibles dans les universités, les écoles et les résidences. Imaginez tout ce que l'on pourra faire comme jeux, animations et débats scientifiques! La question qui se posera bientôt est: allons-nous continuer à regarder la télévision?"
Retour à la tour d'ivoire?
Devant la centaine de personnes présentes, Bernard
Descôteaux a livré le mea culpa des quotidiens
québécois. "Les médias d'ici n'ont pas
de tradition, de moyens ni de volonté pour couvrir les
sujets scientifiques. On parle peu de sciences parce que la population
n'a pas de culture scientifique. De plus, les journalistes sont
à l'image de la société: ils ne connaissent
pas grand-chose aux sciences de sorte qu'il est bien difficile
pour eux de faire montre de sens critique." Et le cercle
vicieux est bouclé.
"Plus l'information scientifique s'accroît, plus il
faut que le journaliste soit compétent et indépendant
pour remplir son rôle d'interprète entre les chercheurs
et le public, estime pour sa part Jacques Dufresne. Le journaliste
a des responsabilités énormes et il faudrait lui
donner les moyens pour bien remplir sa tâche, ce qui n'est
pas le cas présentement. L'information n'est pas au service
de la vérité." Le philosophe espère
d'ailleurs un certain retour à l'université-tour
d'ivoire, où des professeurs libres et indépendants
seraient payés pour traquer la vérité et
la partager avec la population, par le biais d'articles diffusés
sur Internet. "Ces professeurs n'auraient pas à publier
d'articles dans les revues savantes ou à chercher des fonds
pour leurs travaux. En fait, ils seraient immédiatement
congédiés s'ils recevaient une subvention ou une
commandite, ajoute-t-il. J'espère que la Chaire en journalisme
scientifique va contribuer au retour de ces libres-penseurs."
Rappelons que la Chaire en journalisme scientifique a été
officiellement lancée en mars 2001, grâce à
une contribution d'un million de dollars de la société
Bell Globemedia. Elle prépare pour le printemps 2002 un
colloque sur l'état de l'information scientifique au Québec
et au Canada.
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