1 novembre 2001 |
Selon Alain Touraine, les années 1990 passeront à
l'histoire comme une période marquée par la dévalorisation
des partis politiques et le recul des syndicats, deux conséquences
de la mondialisation de l'économie. Les pouvoirs politiques,
les actions sociales et les influences culturelles n'ont plus
la cote dans nos sociétés, a fait valoir ce sociologue
français, invité à la première conférence
de la programmation 2001-2002 de la Chaire publique de l'AELIÉS
qui a avait lieu au Théâtre de la cité universitaire,
le 16 octobre, sur le thème "La démocratie
en agonie?".
"On a parlé de pensée unique, poursuit Alain
Touraine. Au fond, la grande idée était qu'on ne
pouvait rien y faire. Or, je suis convaincu que cette période,
commencée avec la chute du Mur de Berlin, cette illusion
que l'économie peut vivre toute seule, vient de se terminer.
Je pense que cette vision économiste vient de s'écrouler
avec les tours du World Trade Center. Nous sentons tous maintenant
la nécessité de recréer des débats
politiques."
Des constats alarmants
Alain Touraine affirme que les institutions politiques démocratiques
apparaissent actuellement affaiblies et que la démocratie
est loin d'être assurée en ce début de siècle:
"Il y a beaucoup de barbarie. Beaucoup de problèmes
sont traités sous le mode de la guerre, de la guerre civile,
de la recherche de l'homogénéité ethnique
ou de l'intransigeance religieuse." Au Québec, indique
l'ancien directeur général des élections,
Pierre F. Côté, le système électoral
présente des carences démocratiques. "Aux dernières
élections, rappelle-t-il, le parti actuellement au pouvoir
a obtenu moins de votes que le parti qui forme l'opposition officielle."
Il dénonce par ailleurs la facilité avec laquelle
on peut contourner la loi québécoise relative au
financement populaire des partis politiques. Selon lui, on a parfois
l'impression au Canada d'avoir affaire "à un parti
fédéral unique".
La politologue Diane Lamoureux, de l'Université Laval,
indique que le citoyen, au moment des élections, se trouve
très dépendant du spectre politique couvert par
les candidats. "Ceux-ci, dit-elle, ont tendance à
se concentrer à l'extrême-centre dans le système
uninominal à un tour, ce qui ne recouvre pas l'ensemble
des sensibilités politiques présentes au sein d'une
société." Elle ajoute que le droit de manifester
apparaît maintenant comme un droit collectif menacé.
Selon elle, le sentiment d'extériorité ou d'impuissance
que ressent le citoyen face au pouvoir politique vient du fait
que la représentation politique est un mode de sélection
d'élites, et non une façon de mettre le peuple au
pouvoir.
Des avenues citoyennes à réinvestir
Diane Lamoureux croit que le renforcement de la démocratie
peut se faire en réaffirmant des droits collectifs tels
que la liberté d'opinion et la liberté d'association.
On peut également réaffirmer les droits qui portent
sur la signature de pétitions, les réunions et les
manifestations. Le recours plus fréquent à des référendums
pourrait favoriser la correction partielle de nos institutions
politiques.
Alain Touraine plaide, pour sa part, en faveur de la reconnaissance
des droits culturels, notamment ceux des communautés ethniques,
droits qui s'ajouteraient à ces acquis que sont les droits
civiques et sociaux. D'autre part, il ne pense pas que le formidable
mouvement d'ouverture de l'économie chinoise entraînera
une libéralisation politique dans ce pays. Quant à
Pierre F. Côté, il prône la mise en place d'un
nouveau mode de scrutin qui comprendrait une forme de représentation
proportionnelle. "La démocratie n'est jamais achevée,
jamais parfaite, soutient Diane Lamoureux. Elle est toujours à
construire et à approfondir. Et il y aura toujours des
exclusions."
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