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1 novembre 2001 ![]() |
Au moment où l'onde de choc de l'écroulement
des tours infernales du World Trade Center de Manhattan ne cesse
d'ébranler quotidiennement les fondements économiques
et psychologiques de l'Occident et que sa traînée
de débris morbides sème la psychose du bioterrorisme
sur son passage, voilà qu'apparaît celui que l'on
n'attendait et que l'on n'entendait plus: Leonard Cohen. L'immense
poète-auteur-compositeur-chanteur à la voix caverneuse
que certains médias ont drapé, du jour au lendemain,
de la toge de prophète de "malheurs" pour avoir
supposément pressenti l'attentat-catastrophe hors fiction
du 11 septembre 2001 dans sa chanson First We Take Manhattan.
"Ce n'est pas tellement que Cohen voie venir des choses que
d'autres ne voient pas, mais il avertit, il incite les gens à
être à la hauteur, à admettre leur détresse
plutôt que de la cacher. Dans ce sens, il est un prophète
non pas de la voyance des événements à survenir,
mais de l'exhortation surtout dans son disque intitulé
The Future", analyse Malcolm Reid, étudiant
de deuxième cycle à la toute fraîche soixantaine.
Une quête personnelle
Malcolm Reid est revenu sur les bancs de l'Université,
il y a trois ans, après une longue carrière dans
le journalisme (notamment au Globe and Mail, à Radio-Canada,
à la Presse canadienne, au Devoir et à Saturday
Night ), pour livrer à la postérité l'esprit
derrière la lettre du "grand oeuvre" (2 romans,
8 recueils de poèmes et 13 disques dont le plus récent,
Ten New Songs) aux hyperboles et aux paraboles visionnaires
de ce Montréalais légendaire qu'il appelle familièrement
"Leonard ". Reid parachève actuellement la rédaction
de son mémoire de maîtrise en création littéraire,
portant le titre: I have seen the Future: Leonard Cohen dans
la culture et la contre-culture, sous la direction de Marie-Andrée
Beaudet, professeure au Département des littératures
de la Faculté des lettres.
"C'est un essai personnel, explique-t-il. Il y a dans ma
façon de parler de cette oeuvre, de la lire, une part des
souvenirs de mon contact avec les différents livres et
disques au fur et à mesure de leur parution et des réactions
qu'ils ont suscitées en moi. Quant à l'analyse littéraire
plus formelle, fondée sur la quête de l'imagerie,
des sources mythiques de l'auteur, disons que beaucoup de ces
dernières se retrouvent dans ma vie, puisque je suis de
cette génération qui a vécu la contre-culture.
De plus, comme écrivain, je me sens faire partie de la
même confrérie que "mon" poète."
The beat goes on
Si Malcolm Reid n'a jamais eu l'occasion d'adresser la parole
à Leonard Cohen, il a tout de même pu vivre dans
ses parages, à l'Université McGill, dans les années
1950, l'apercevoir du coin de l'oeil et suivre les premières
traces de sa notoriété. "Je vois Cohen comme
faisant partie d'un grand courant culturel qui a commencé
en 1960 - s'il faut choisir une date -, à la fois
très littéraire, mais s'exprimant dans les autres
formes d'art, et très engagé aussi dans sa manière
de voir la politique et d'aborder les questions sociales: la contre-culture, affirme-t-il,
mettant en exergue les noms phare de la beat generation
qu'étaient alors (et que sont demeurés) entre autres,
les Ginsberg et Kérouac. Cohen était là au
début de cette vague: il était une voix (dans tous
les sens du terme) très spéciale, parce qu'il était
à la fois Québécois, Canadien anglais, juif,
Nord-Américain, parce qu'il était Leonard Cohen
et qu'il avait ce regard si particulier sur les choses."
La trajectoire qu'a empruntée son oeuvre depuis ce temps
- et la ligne conductrice qui la sous-tend - pourrait
se résumer, selon Malcolm Reid, à ces quelques préceptes:
il faut vivre d'une façon révolutionnaire, voire
d'une manière qui explose de vie, qui ne se traduit pas,
à prime abord, dans l'action politique. "Je perçois,
précise-t-il, un Cohen qui vivait le bouleversement et
la révolution non pas sur le plan politique, mais sur les
plans culturel, sexuel - la sexualité est le centre
de Cohen - et émotif, et qui considérait qu'étant
de nature mondiale, les grands changements pouvaient très
bien se manifester dans la révolution québécoise
comme partout ailleurs sur la planète. Cohen ne cherchait
pas à soupeser le pour et le contre; il essayait plutôt
de "flairer" les événements en se laissant
interpeller par la charge émotive qu'ils provoquaient en
lui."
Homme debout, observateur en retrait, pessimiste en retraite,
sorti d'un giron montréalais s'abreuvant des traditions
juives en même temps que de la richesse des langues d'une
cohabitation culturelle et sociale en pleine ébullition,
Leonard Cohen a lancé, un jour, une phrase qui demeure
d'une brûlante actualité. Selon Malcolm Reid, l'aphorisme
désormais célèbre: "I have seen the
future" pourrait aussi bien se traduire aujourd'hui, dans
l'esprit de son auteur, par cette sentence (dans toute l'acception
du terme) qui tient à la fois du laconique et du tragique:
"I have seen the human".
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