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18 octobre 2001 ![]() |
Nous vivons dans un monde où, par le biais d'un seul coup de fil dans une pizzeria, il est possible de se faire livrer 3000 calories à sa porte en moins de 15 minutes. Dans un monde où le junk food a envahi les écoles, du primaire à l'université. Dans un monde où la partie du corps la plus sollicitée chaque jour est l'index qui contrôle la zapette et la souris. Dans un monde où 1 milliard de sous-alimentés cohabitent avec un milliard de gros. Nous vivons dans un monde qui n'a jamais autant valorisé la beauté physique et dans lequel, pourtant, l'embonpoint est en voie de devenir la norme. Nous vivons dans un environnement toxique qui dresse la table à l'obésité, ont clamé une bonne partie des scientifiques qui participaient au Congrès annuel de la North American Association for the Study of Obesity, présenté du 7 au 10 octobre à Québec.
Les organisateurs de l'événement, Angelo Tremblay et Paul Boisvert de la Chaire de recherche sur l'obésité D.B. Brown, attendaient entre 1500 et 1800 participants; faisant fi des événements du 11 septembre, 1200 ont sauté dans un avion pour se rendre au congrès de Québec. Ils ont trouvé dans le copieux menu mitonné par les deux chefs québécois (50 sessions de formation continue, 20 colloques, 400 affiches et 200 présentations orales) de quoi nourrir leurs réflexions sur cet autre fléau mondial.
Taxer le junk food
Près de 75% des Nord-Américains se trouvent
trop gros et 85% ont déjà tenté de perdre
du poids. Les premiers mois d'un régime donnent des résultats
encourageants, mais après cinq ans, presque tous reprennent
le poids perdu ou même plus, a souligné le psychologue
Robert Jeffery de l'Université du Minnesota. Ce scénario
se produit même avec les personnes qui utilisent les nouveaux
médicaments contre l'obésité. "La disponibilité
du junk food et l'augmentation du temps passé devant la
télé expliquent en bonne partie l'accroissement
de l'obésité aux Etats-Unis", juge-t-il.
Si l'obésité se répand comme une tache d'huile, c'est l'environnement qu'il faut blâmer, estime Kelly Brownell de l'Université Yale. "Notre génétique n'a pas changé au cours des dernières années et nous n'avons pas moins de contrôle face à la nourriture. Pourtant, le nombre d'obèses augmente continuellement." Le junk food est devenu accessible partout: dans les chaînes de restauration rapide qui se multiplient et qui offrent des portions de plus en plus grosses, mais aussi dans les stations-service, dans les clubs vidéo, dans les aéroports, dans les gares, dans les centres commerciaux, dans les écoles "Partout où nous mettons les pieds, le junk food nous sollicite, déplore-t-il. Ces produits ne coûtent pas cher et leur mise en marché est très agressive."
Pour contrer cet envahissement, il faut taxer le junk food, subventionner les aliments sains et réglementer la publicité destinée aux enfants, avance le professeur Brownell. "Souvent, la réaction spontanée à mes propositions est que ça empiète sur les libertés individuelles. Il y a 20 ans, si on avait proposé d'augmenter les taxes sur le tabac, d'interdire la cigarette dans les lieux publics et d'en réglementer la publicité, on m'aurait répondu la même chose. Lorsqu'on a pris conscience des coûts sociaux de la cigarette, les droits individuels ont cédé le pas au bien commun. Aux États-Unis, il y aurait 300 000 décès annuellement dus à l'alimentation et au manque d'exercice (425 000 pour la cigarette). Il me semble que ça justifie une intrusion dans les choix individuels."
"Je ne crois pas à l'efficacité d'une taxe sur le junk food, a défendu Bill Dietz, un expert du Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis. D'une part, il n'y a pas encore eu d'études qui prouvent hors de tout doute le lien entre le junk food et l'obésité. D'autre part, il n'est pas certain que cette mesure atteindrait ses objectifs. Malgré les taxes élevées sur le tabac, une bonne partie de la population continue toujours à fumer."
La santé publique américaine préconise plutôt une offensive sur plusieurs fronts. Elle recommande notamment de prendre le problème à la base en intervenant auprès des jeunes avant que ne surviennent les problèmes de poids. La stratégie américaine mise sur un accroissement de l'allaitement maternel, une diminution du temps passé devant les ordinateurs et la télé, et une augmentation de l'activité physique. "En ce qui concerne la nourriture, il faut faire en sorte que le choix santé devienne le choix facile. Présentement, c'est le contraire qui se produit. Il faudra une grande volonté politique pour changer la situation actuelle, mais ce sera essentiel pour enrayer l'épidémie d'obésité qui frappe les États-Unis."
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