18 octobre 2001 |
Demandez à l'individu de la rue ce qu'évoque pour
lui la Colombie et vous pouvez être sûr qu'il parlera
de corruption, de trafic de drogue et de guérilla. Ceci
étant dit, la vision qu'on a d'un pays est forcément
subjective. Professeur à la Faculté des lettres,
dont il assume présentement la fonction de vice-doyen,
Vincent Nadeau, lui, est allé sur le terrain et a ramené
des nouvelles fraîches de ce pays d'Amérique du sud,
qu'il a regroupées en un recueil de cinquante portraits
qui constituent autant de témoignages sur la vie en ce
pays.
"Un beau matin, mon projet d'écriture s'est cristallisé
et j'ai eu envie de me mettre à la place de ces gens, d'emprunter
leur voix pour explorer leur propre univers", explique Vincent
Nadeau, qui a été professeur invité à
l'Université pédagogique nationale Bogota durant
un an. "Je trouvais intéressante l'idée de
multiplier les narrateurs et de varier les points de vue, ce qui
me permettait de changer constamment de perspective. Avec ce procédé,
on oublie presque qu'on est soi-même, finalement."
Pas surprenant donc que l'auteur de Chévere,
des nouvelles de Colombie (Éditions Adage) ait
naturellement choisi d'écrire les nouvelles en espagnol
et de les traduire en français ensuite, un peu comme s'il
voulait se mettre un peu plus dans la peau de ses personnages.
Dans ces courts textes qui dépassent rarement une
page et demie, Vincent Nadeau aborde différents thèmes,
notamment celui de l'enfance brisée et exploitée.
Ainsi en est-il de la petite Loquita, cette " noiraude"
couverte de bleus pour qui la vie se résume à
de basses besognes et dont on a décidé qu'elle était
trop bête pour aller à l'école et trop laide
pour se marier. De son côté, Juan, sept ans et demi,
gagne sa vie en transportant dans sa charrette du matin
au soir des vieux métaux et du papier que récupèrent
ses frères et son père. Un seul problème:
on le paye peu et parfois pas du tout. En attendant d'avoir assez
de pesos pour manger à sa faim, Juan mendie de l'eau, un
fruit, un jus, n'importe quoi, essayant tant bien que mal d'attirer
le regard des passants, le plus souvent indifférents à
ses malheurs.
Un monde de contrastes
Dans cette foule bigarrée se trouve peut-être
l'homme d'affaires Don Filantropo, qui donne aux pauvres
d'une main tout en regardant sa montre de l'autre, pressé
qu'il est par ses nombreuses obligations. Non loin de là
roule Honesto, chauffeur de taxi de son état et
qui, en l'espace d'une course en ville, résume pour le
bénéfice de son client - qui souhaite s'arrêter
prendre un café mais qui changera d'idée en cours
de route - les problèmes de violence et de corruption auquel
fait face le pays: "Le plus beau de la récolte s'en
va à l'étranger et nous, les Colombiens, je vous
demande, qu'est-ce que nous sommes obligés de boire ? Le
coût de l'essence ? Oui, parlons-en, il a augmenté
du double depuis l'an dernier, un scandale dans un pays qui produit
tant de pétrole. () Combien vous me devez ? Cela fait deux
mille pesos, pas un de plus. Il ne faut pas se fier au taximètre,
il est faussé, vous voyez mille pesos, ça veut dire
le double."
Par le biais de sa plume, Vincent Nadeau fait entre autres pénétrer
le lecteur dans les mondes interlopes de la protection organisée
(Zacarias et Ismael), des meurtres jamais résolus
et donc jamais punis (Ponciano) et des règlements
de compte sans autre forme de procès (Esmeraldos, Augusto).
Au-dessus de la mêlée s'élève parfois
la voix courageuse de ceux qui luttent pour la justice et pour
un monde meilleur (Padre Bustamante). Car il y a de l'avenir
dans ce pays, malgré tout ce qu'on peut en penser.
"Il n'y a ni message ni intention politique dans ce livre,
affirme Vincent Nadeau. En fait, s'il y avait une chose à
retenir, c'est que même dans les circonstances les plus
difficiles, les gens arrivent à survivre et à vivre
leur vie. Et c'est déjà beaucoup. "
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