11 octobre 2001 |
"Peu importe la question que l'on pose, on trouve toujours
quelque chose. Alors, pour réussir en recherche, il faut
apprendre à poser de bonnes questions." La recette
du professeur Ram Murty semble simple, presque trop simple en
fait, mais, somme toute, il y a peu à perdre et beaucoup
à gagner à la mettre en pratique. Après tout,
ce professeur de mathématiques de l'Université Queen's
n'est pas du genre cordonnier mal chaussé. Bien qu'il soit
encore dans la fleur de l'âge pour un scientifique, il a
déjà connu sa large part de succès: doctorat
du MIT (1980), bourse Steacie (1991) décernée aux
cerveaux canadiens les plus prometteurs, bourse Killam (1998)
remise aux plus brillants des chercheurs chevronnés au
Canada, une pléthore de prix remis par des sociétés
de mathématiques, 80 publications savantes, six livres
et, tout récemment, une chaire nationale de recherche en
mathématiques.
Invité le 4 octobre par le Département de mathématiques
et de statistique, le chercheur a partagé humblement et
généreusement la recette de son succès avec
la cinquantaine de personnes présentes. "On me demandait
souvent comment il fallait s'y prendre pour faire de la recherche,
raconte-t-il. Alors un jour, je me suis assis, j'ai pris le temps
d'y réfléchir et je suis arrivé avec une
liste de huit principes qui permettent de poser de bonnes questions.
À ma connaissance, cette liste n'existait nulle part ailleurs.
Cependant, les chercheurs qui connaissent beaucoup de succès
appliquent bien souvent, de façon intuitive, certains de
ces principes."
Pour tous les domaines
Les huit principes de Ram Murty sont inspirés de ses
connaissances en mathématiques et en sciences, mais estime-t-il,
ils s'appliquent à tous les domaines du savoir.
- Recension (survey method). En faisant l'inventaire de ce qui est connu sur un sujet et en ordonnant ces connaissances, ce qui n'est pas connu devient apparent et les questions surgissent d'elles-mêmes. Exemple: le tableau périodique des éléments de Mendeleiev.
- Observation. Nous observons, nous expérimentons et nous notons des patrons, des tendances qui conduisent à des questions. Exemple: Archimède dans son bain, la découverte de la pénicilline et de l'hélium.
- Conjecture. À la suite de l'observation, on étudie des cas spéciaux, on fait des prédictions et on tente de déterminer si elles sont exactes. Exemple: les mathématiques, un domaine où il y a beaucoup de théories et peu de preuves. "C'est ce qui rend notre discipline si stimulante", dit Ram Murty.
- Réinterprétation des données. Il faut tenter de donner une nouvelle interprétation à des choses déjà connues. C'est le principe le plus difficile à mettre en pratique. Il faut apprendre à requestionner les réponses considérées comme acquises. Exemple: la révision des connaissances sur la gravitation universelle.
-Analogie. Il faut identifier des notions analogues dans d'autres branches de la science et voir comment elles peuvent servir à répondre à des questions de notre propre domaine. Exemple: la découverte des photons et les applications mettant à profit l'effet photoélectrique.
- Transfert. Puis-je appliquer dans mon domaine des connaissances qui proviennent d'une autre discipline? Exemple : l'utilisation du carbone 14 pour la datation en archéologie ou en écologie. "Il faut s'intéresser aux disciplines autres que la nôtre et voir ce qu'elles peuvent nous apporter, souligne le mathématicien. Il faut savoir être un spécialiste sans être borné."
- Induction. L'étude de plusieurs cas spéciaux peut nous amener à postuler l'existence d'une règle générale.
- Inverse (converse method). L'existence d'une relation entre un élément A et un élément B peut nous amener à questionner l'existence de la relation inverse.
À noter que l'acrostiche de la version anglaise de cette liste est SOCRATIC, honorant la mémoire du philosophe grec qui, comme tout bon philosophe, a fait de la question son outil de travail quotidien.
Maths et poésie: même combat
L'art de la recherche est bien plus qu'une recette en huit
étapes sur la façon de poser de bonnes questions,
ajoute cependant Ram Murty. "Il y a également une
part de créativité et d'imagination qui ne s'enseigne
pas, mais qu'on peut cultiver." Le mathématicien confesse
d'ailleurs s'adonner à l'écriture de poèmes
dans ses temps libres.
"Il y a plusieurs similitudes entre un poème et une
démonstration mathématique, souligne-t-il. Tout
comme les mathématiques, la poésie impose un ensemble
de règles et de contraintes à la pensée,
par exemple le type de rime, le nombre de pieds, la longueur des
strophes, à l'intérieur duquel il faut exercer sa
créativité." Son expérience de poète
l'a d'ailleurs conduit à se poser une question, sans doute
inspirée par le principe de l'analogie: pourquoi est-il
plus facile de trouver un éditeur pour un article mathématique
que pour un recueil de poésie?
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