4 octobre 2001 |
"Lorsque j'étais enfant, raconte Jean-Pierre Sawaya,
mon père nous amenait parfois le dimanche en balade en
voiture au village de Caughnawaga, aujourd'hui Kahnawake. Il voulait
nous dépayser, nous montrer une réalité différente
de celle du quartier montréalais d'Ahuntsic où nous
habitions. Caughnawaga était un endroit marginal, voire
"exotique". Ses habitants l'étaient; leur village
aussi."
Plus tard, à l'Université de Sherbrooke, il découvre
une autre forme de la marginalité amérindienne,
plus intellectuelle celle-là. "C'était visible
dans les syllabus de cours, mais également dans le manque
d'intérêt des étudiants, rappelle-t-il. Personne
ne parlait des autochtones. Je me suis alors dit que j'étudierais
ceux qu'on semblait avoir oublié pour d'abord leur redonner
une place dans l'Histoire, et ensuite pour mieux nous comprendre."
Jean-Pierre Sawaya a poursuivi ses études de maîtrise
et de doctorat en histoire à l'Université Laval.
Son mémoire ainsi que la thèse qu'il vient de déposer
portent sur le même grand thème: la Confédération
des Sept-Nations du Canada. Cette dernière regroupait cinq
communautés amérindiennes vivant dans sept villages
de la vallée du Saint-Laurent au 18e siècle. Elle
s'est formée après la cession de la Nouvelle-France
à la Couronne britannique. Sédentarisés et
convertis au catholicisme, ces autochtones étaient au nombre
de 3 500.
Des alliés dépendants
Dans sa thèse intitulée Les Sept-Nations
du Canada, 1759-1774: alliance et dépendance, Jean-Pierre
Sawaya explore une période charnière au cours de
laquelle l'Angleterre règne seule sur l'Amérique
du Nord-Est. À cette époque, les Amérindiens
ne peuvent plus faire jouer les intérêts des Français
contre ceux des Anglais et vice-versa, comme ils le faisaient
lorsque les deux pays se disputaient le territoire. Selon le chercheur,
ils n'ont alors d'autre choix, pour s'en sortir, que de se rallier
au nouveau conquérant. "Qu'on ne se trompe pas, poursuit-il.
Leur sort était déjà scellé. Aux yeux
des Britanniques, les Amérindiens sont utiles pour faire
la guerre, le commerce et l'exploration: c'est l'alliance. Mais
lorsque le conquérant aura suppléé à
cette utilité, il les tassera, ils les mettra dans des
réserves: ce sera la dépendance, l'apartheid."
La Confédération du Canada naît en 1763, dans
le contexte du soulèvement des Amérindiens des Grands
Lacs et de la vallée de l'Ohio. L'insurrection est dirigée
par Pontiac, un chef outaouais, ancien allié des Français,
qui refuse de se soumettre à l'Angleterre, un adversaire
de longue date. La Confédération, quant à
elle, se range derrière la Couronne anglaise. "La
Confédération a valorisé les Britanniques,
justifié leur modèle colonial et légitimé
leur occupation du Canada, explique Jean-Pierre Sawaya. Leurs
membres ont accusé Pontiac d'être l'agresseur pour
finalement accepter de le combattre. Mais en acceptant le régime
colonial, ils ont accepté, avec lui, le processus de dépendance
et d'assujettissement." Le conflit prend fin en 1766, avec
la reddition de Pontiac.
La logique du gouvernement indirect
La Confédération du Canada s'insère dans
le réseau d'alliance anglo-amérindien sous l'autorité
de la Confédération des Six-Nations iroquoises,
la grande alliée des Anglais depuis 1664. Dans cette structure
hiérarchique, les Abénaquis, Algonquins, Hurons
et Nipissingues de la vallée du Saint-Laurent sont désormais
subordonnés aux Iroquois de Kahnawake, qui leur servent
d'intermédiaires avec les Britanniques. C'est la logique
de l'indirect rule, du gouvernement indirect. Cette organisation
a cependant un point faible. Parce qu'elle n'est pas fondée
sur le consensus de ses membres, parce que la légitimité
de ses chefs ne vient pas du bas mais du haut, en l'occurrence
des Anglais, la Confédération suscite des jalousies
et des frictions, ce qui renforce le contrôle exercé
par la puissance coloniale sur les autochtones.
Maintenant boursier du Conseil de recherches en sciences humaines
du Canada, c'est à l'Université du Québec
à Montréal que Jean-Pierre Sawaya poursuivra ses
travaux pour les deux prochaines années. Il compte faire
l'histoire des Sept-Nations entre 1775 et 1815, soit de la Révolution
américaine à la guerre entre le Canada et les États-Unis.
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