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20 septembre 2001 ![]() |
DE L'INDÉCIDABILITÉ DU BOUCLIER ANTIMISSILE
Mettons les choses en perspective: l'effondrement du World
Trader Center pourrait avoir autant d'importance que la
chute de Constantinople. Il y aura un "avant" et un
"après" qui marqueront l'histoire et les générations
futures. La logique de cette attaque est élémentaire
: l'ennemi invisible n'a pas les moyens de déclarer la
guerre. Par contre, sur le plan stratégique, on se demande
comment il se fait que l'espace aérien soit sans surveillance.
D'où l'indécidabilité du bouclier antimissile:
nécessaire puisque l'espace (aérien) est pénétrable;
futile puisque l'espace (aérien) est pénétrable.
Fondamentalement, le dilemme est mal posé: le mal n'est
pas hors-soi, il est en-soi.
EN DIRECT DU MAROC
Je poursuis présentement mes études de deuxième
cycle en anthropologie à l'Université Laval. Je
suis actuellement au Maroc dans le cadre d'un premier terrain
ethnographique. Au lendemain des attentats qui ont eu lieu aux
États-Unis, je tente de demeurer ouverte aux discours qui
se construisent autour de moi.
Il est d'abord étonnant de voir la vitesse vertigineuse
avec laquelle s'est effondré le mythe de l'Amérique
intouchable. Il a fallu que la réalité dépasse
la fiction pour que le reste de la planète réalise
que les géants du cinéma américain n'étaient
en fait que des créateurs de rêves. En même
temps que les tours du World Trade Center s'effondraient et que
les pauvres civils qui n'ont rien à voir avec toutes ces
histoires de haine se faisaient engouffrer, c'est l'image idéalisée
d'une terre invincible qui s'écroulait.
Intéressant, également, de voir les gens compatir
sincèrement avec le peuple américain tout en se
permettant (pas trop fort) de critiquer la politique de Bush:
"S'il avait levé l'embargo qui sévit en Iraq,
s'il ne s'était pas montré sourd face à la
souffrance et à l'injustice dont souffrent les Palestiniens,
s'il avait répondu à l'appel des manifestants anti-mondialisation
", etc. Tout ça est intellectuellement intéressant
à analyser, mais la raison qui me pousse à rédiger
ce texte est autrement plus humaine. Quand j'ai eu écho
jusqu'au Maroc des affrontements qu'il y a eu entre des étudiants
de l'Université Laval et des étudiants musulmans
(de l'Université également) j'ai été
choquée, dépassée, voire effrayée
de tant d'ignorance.
Il est alarmant de constater à quel point les médias
officiels occidentaux ont besoin de créer un ennemi diabolique
pour tout expliquer. Cet ennemi, qui a pris bien d'autres noms
dans l'histoire, prend aujourd'hui le nom d'intégrisme
islamique. Il m'apparaît encore plus inquiétant
de voir que des étudiants universitaires "gobent"
ces discours sans le moindre discernement, sans aucun esprit critique.
Je tente de me calmer en mettant ça sur le dos de l'ignorance
plutôt que sur celui de la bêtise humaine
La presse occidentale est en train de faire de nous des analphabèteset
ces fausses équations deviennent de plus en plus dangereuses.
Il faut recommencer par l'ABC et savoir que les musulmans ne sont
pas nécessairement arabes, tout comme les arabes ne sont
pas automatiquement musulmans. Les Afghans, par exemple, sont
musulmans, mais ne sont pas arabes et certains Libanais sont
arabes mais ne sont pas musulmans. Il est encore plus urgent que
les gens distinguent la religion musulmane de l'intégrisme
religieux. Dans ma vie quotidienne, ici, au Maroc, comme au Québec,
je côtoie beaucoup de gens qui pratiquent la religion musulmane.
Pour moi, ces gens font preuve de respect, d'ouverture face à
la différence, de générosité et d'une
admirable bonté. Ces gens de mon entourage, tout comme
les dizaines de milliers d'autres musulmans de la planète,
n'ont rien à voir avec les attentats terroristes ou avec
un quelconque intégrisme religieux. Ici, les gens qualifient
les actes terroristes d'inadmissibles, d'impardonnables, d'inhumains.
Ils sont tout aussi indignés que vous et moi face au sort
qu'a connu la population civile américaine et dénoncent,
eux aussi, toute forme d'intégrisme. La seule différence,
c'est qu'ils ne comprennent pas (à juste raison) pourquoi
on les associe injustement à cette affaire...
J'ai été surprise de recevoir plusieurs courriels
de personnes qui s'inquiétaient pour moi parce que je
vis actuellement dans un pays arabo-musulman. Pourtant, ici, je
n'ai jamais senti la moindre menace, personne ne m'a harcelée,
il n'y a eu aucune manifestation, tout simplement parce que les
gens ici savent très bien que je n'ai rien à voir
avec Bush même si je viens de l'Amérique. Quand j'entends
mon frère me dire qu'il a reçu un carton, distribué
à la grandeur de l'Université d'Ottawa, sur lequel
était écrit: "diable = arabe"; quand
j'entends qu'il y a eu des manifestations anti-musulmans dans
certaines universités; quand j'entends dire que des femmes
qui ont choisi de porter le voile (toute les musulmanes ne portent
pas le voile) l'ont enlevé pour ne pas se faire harceler;
quand on me dit que les gens au Québec abordent le sujet
des attentats avec les musulmans en leur disant: "Chez toi"
alors qu'il y a plus d'un milliard de musulmans sur la terre,
j'ai soudainement honte de mon pays Ces actes de guerre sont le
fruit du racisme dans certains cas, mais de l'ignorance pour la
plupart. Alors je garde espoir qu'une ouverture envers la différence
est encore possible.
Malgré mon éternel optimisme, j'ai peur parce que
je constate que l'on a remis l'éducation des citoyens entre
les mains de médias qui gagnent à créer cet
analphabétisme et à propager cette fiction d'un
ennemi diabolique. Ce sont toutes ces petites haines qui nourrissent
la guerre. La paix commence d'abord par de petits gestes d'ouverture.
Ce texte est un appel à l'amour, à l'ouverture,
à l'esprit critique, à l'intelligence. Chacun de
nous tient dans ses mains un début de paix. Face à
cette folie qui s'est emparée de la planète et face
à cette menace de guerre, la seule chose qui est en notre
pourvoir pour changer le cours des choses est de lutter contre
l'analphabétisme du 21e siècle en gardant un il
critique et en apprenant tranquillement à apprivoiser la
différence.
On se lance des fleurs en se disant terre d'accueil et d'immigration
Je crois qu'il faut revoir un peu notre sens de l'ouverture. On
ne peut plus seulement ouvrir nos frontières territoriales,
il faut maintenant ouvrir nos portes humainement et cesser de
se sentir menacés par la différence. L'ouverture
aux autres est déstabilisante, certes, mais c'est l'unique
voie qui conduit à l'enrichissement et à la paix.
NDLR
Le Service de sécurité et de prévention de
l'Université nous informe qu'il n'y a pas eu d'affrontements
entre étudiants sur le campus dans la foulée des
attentats terroristes aux États-Unis. Le nombre et la fréquence
des patrouilles du Service de sécurité de l'Université
et du Service de police de la Ville de Sainte-Foy ont cependant
été augmentées, à la suite d'un appel
de menaces anonyme acheminé dans les heures qui ont suivi
les attentats.
IN LOWER MANHATTAN
Trois dates: 22 novembre 1963, 6 décembre 1989, 11
septembre 2001. Le 22 novembre 1963, assassinat de John F. Kennedy.
Le jeune homme de 16 ans que j'étais en fut complètement
bouleversé. JFK représentait l'optimisme de la jeunesse
du début des années 1960, le modèle transcendant
pour tous ceux qui rêvaient à autre chose que de
jouer au hockey... En apprenant son assassinat, la douleur s'accompagnait
de l'angoisse. Une troisième guerre mondiale était-elle
imminente?
Le 6 décembre 1989, massacre de Polytechnique à
Montréal. Quatorze étudiantes abattues parce qu'elles
sont de sexe féminin et que ce jour là elles s'adonnent
à être au mauvais endroit. Mais ce mauvais endroit,
c'est justement le genre d'endroit que je vénère
car c'est un lieu où on veut apprendre, c'est le genre
de lieu où je consacre le meilleur que je pense avoir en
moi. Un lieu traditionnel d'asile où justement la discrimination
ne devrait même pas exister.
Le 11 septembre 2001, attaque terroriste d'une diabolique efficacité
conte les USA. Contre le Pentagone, symbole de la puissance militaire,
on aurait peut-être pu y voir une ombre de légitimité.
Mais il fallait aussi viser la deuxième tête du monstre.
On visa New-York. Symbole du capitalisme mais aussi symbole d'accueil
et de liberté. Ellis Island et la statue de la Liberté
sont toujours là pour en témoigner. Encore une fois,
douleur et angoisse... C'est le 22 novembre 1963 multiplié
de façon incommensurable.
Ces trois dates, il m'est plus facile maintenant d'écrire
les émotions qu'elles éveillent en moi que d'en
parler dans une salle de cours, mes étudiants le savent...
New-York: j'aime son beat, sa liberté. J'aime y
mettre mes rollers pour y défier les taxis jaunes à
partir de Battery Park jusqu'à Harlem. J'aime entendre
Sinatra chanter If you can make it there you can make it anywhere...
They did just that, they made it in New-York.
Bush appelle ça de la lâcheté... Ces gens-là
ont agi en étant motivés par une cause plus importante
que leur propre vie. Pour moi ce n'est pas de la lâcheté,
mais plutôt du fanatisme. Dans le monde occidental, on connaît
ça, le fanatisme! On a eu les Croisades, l'Inquisition,
les guerres de religion du 16e siècle... et au 20e siècle,
deux guerres mondiales où des chrétiens pratiquants
s'entretuaient à qui mieux mieux... On connaît ça
le fanatisme, c'est pour ça qu'on peut le reconnaître.
En Amérique, on a fait un pari. Celui de combattre le fanatisme
par l'ouverture et la liberté. On préfère
se donner quelques règles de conduite, plutôt que
de multiplier directives, officiers de police et délateurs.
Bien sûr, il arrive que l'on doive en payer le prix et parfois
aussi, il arrive que le recours aux armes puisse devenir nécessité,
à condition de savoir identifier l'ennemi.
Et souvent l'ennemi n'est pas celui que l'on pense, il n'est surtout
pas une collectivité.
Si en particulier on était tenté d'en faire porter
la responsabilité à nos camarades musulmans, il
ne faudrait pas oublier qu'au temps des Croisades les barbares
n'étaient pas ceux qu'on identifiait comme tels dans mes
manuels scolaires. À cette époque, les Sarrasins
étant nettement en avance sur les Francs en ce qui a trait,
notamment, aux mathématiques et à la médecine.
Et si nous sommes fiers de l'éclosion culturelle qui a
accompagné la Renaissance, n'oublions pas que nous en sommes
en grande partie redevables aux Arabes qui avaient su conserver
l'héritage grec mieux que les occidentaux...
Grâce à un auteur tel Amin Maalouf, je rêve
à Samarkand, cette superbe ville sur la route de la
soie que même les soviétiques, avec leur fanatisme
bien particulier, n'ont pas réussi à enlaidir irrémédiablement.
Et pourtant, Samarkand n'est pas si loin des Talibans...
On sait reconnaître le fanatisme, il faut savoir le combattre
tout en témoignant notre attachement aux valeurs de liberté
et d'ouverture. Avant de se lancer dans la grande chevauchée
des Walkyries, M. Bush devrait retenir cet enseignement du sage
Ala Buk'han, par ailleurs plus zoroastrien que musulman : "Il
est plus facile de monter un cheval rétif que d'en descendre".
J'ai bien hâte de chausser à nouveau mes rollers
in lower Manhattan.
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