6 septembre 2001 |
LE CALVAIRE DES FEMMES DU KIVU
Malnutrition, maladies, incessants déplacements de
populations, la situation humanitaire de la République
démocratique du Congo (RDC) est catastrophique comme en
témoignent les femmes du Kivu à l'Est du pays, qui,
malgré le courage et l'ingéniosité dont elles
font preuve, n'arrivent pas à nourrir leur famille. Depuis
près de trois ans, des régions entières de
la République démocratique du Congo sont isolées
par les conflits qui les minent, les populations abandonnées
sans aucun secours. Le personnel humanitaire qui commence à
y avoir accès découvre aujourd'hui l'ampleur de
la catastrophe qui touche près d'un tiers de la population
du pays. Dans ces régions, selon un récent rapport
du bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations
Unies, la mortalité féminine et infantile est presque
la plus élevée au monde, la malnutrition et les
maladies ont fait 2,5 millions de morts, les deux tiers des enfants
ne vont plus à l'école, 75 % des gens n'ont pas
accès aux soins de santé.
Au Kivu, une des zones les plus touchées, où s'affrontent
différentes armées, milices et groupes rebelles,
un million de personnes ont été déplacées
par la guerre qui entrave toute l'activité économique.
Nombreuses sont les femmes, les "mamans" congolaises
comme on les appelle ici, qui sont devenues les véritables
chefs de familles, leurs maris, frères, parents étant
morts ou disparus, au chômage, où, pour ceux qui
ont gardé leur emploi dans la fonction publique, impayés
depuis 34 mois. () "Avec beaucoup d'autres femmes, nous grimpons
à l'arrière de camions surchargés et nous
allons dans la plaine de la Ruzizi, parfois jusqu'à Uvira
(130 km de Bukavu), témoigne Joséphine Nsimire,
43 ans, veuve de fonctionnaire et mère de sept enfants.
De là nous ramenons du poisson fumé, des fruits
ou du manioc. Nous rencontrons souvent, dans les montagnes de
Ngomo, des groupes armés qui nous dévalisent et
parfois violent certaines d'entre nous. Moi j'ai été
violée trois fois, mais que faire ? Rentrées à
Bukavu, nous revendons nos marchandises, le plus souvent à
perte car on doit à chaque fois déduire de notre
capital le prix du ticket de transport, les frais de séjour
à Uvira mais aussi l'argent que chacune d'entre nous doit
donner aux militaires des 7 ou 8 barrières érigées
par le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie,
une des factions rebelles) sur le trajet."
D'autres femmes font quotidiennement à pied l'aller-retour
entre Bukavu et la ville frontalière de Kamembe, au Rwanda.
D'autres préfèrent tâter du commerce de la
friperie ou des chaussures usagées ou encore faire du porte-à-porte
dans les rues de Bukavu avec sur la tête un bassinet de
petits poissons frais fraîchement pêchés dans
le lac Kivu. Nombreuses sont, aussi, celles qui sont devenues
des portefaix et qu'on voit, vieillies avant l'âge, décharnées,
ployer sous le poids de dizaines de kilos de sable, de manioc
ou de haricots. pour un gage de misère. Le sort des diplômées
n'est pas plus enviable: la fonction publique ne paie plus et
la plupart des ONG locales et onusiennes, auparavant très
nombreuses dans la région, ont mis la clé sous le
paillasson depuis que l'arrêt des financements par les bailleurs
de fonds suite à la guerre.
Malgré tous ces efforts, la situation alimentaire des familles
est catastrophique. Selon le Dr Kibonge Kalonda, médecin
directeur de l'hôpital de Walungu, à 42 kilomètres
de Bukavu, "la malnutrition est cause de 42 % des malades
hospitalisés." En désespoir de cause, mères
et filles se prostituent. Même les très jeunes filles,
souvent encouragées par leurs mères, s'offrent après
les heures de classe. Comme en témoigne le nombre d'adolescentes,
certaines âgées de moins de 14 ans, maquillées
à l'excès et presque dévêtues, que
l'on croise dans les rues et les bars tout au long de la journée
et jusqu'aux petites heures du matin. Souvent les enfants eux-mêmes
doivent se débrouiller seuls. Ils deviennent enfants-soldats
et terrorisent les populations, en ville comme à la campagne.
L'un d'eux, Jean-Jacques, 14 ans et demi, ne se cache pas: "Mon
père a été tué sous mes yeux par les
Interahamwe (miliciens rwandais qui ont participé au génocide
en 1994) en novembre 1998. Ma mère nous a abandonnés,
moi et mes six petits frères et surs, pour aller se prostituer
à Naïrobi. A mon âge, j'ai dû m'engager
dans l'armée du RCD. Comme nous n'étions pas payés,
j'ai déserté avec mon arme et maintenant, pour vivre
avec ma famille, je suis obligé de dévaliser les
gens qui sortent des bars la nuit ou d'attaquer les camions de
marchandises sur les routes désertes, avecdes amis soldats.
Le plus âgé de notre groupe a 17 ans. Il m'est arrivé
cinq ou six fois de tuer quand je ne pouvais faire autrement.
Je ne le regrette pas, c'est la loi de la nature."
|