6 septembre 2001 |
Vingt-cinq ans après avoir fait son doctorat à
l'Île d'Anticosti, Jean Huot, professeur au Département
de biologie, se voit offrir la chance de retourner sur cette île
mystérieuse pour répondre à des questions
qui le hantent: comment le cerf de Virginie a-t-il réussi
à proliférer dans un milieu où toutes les
conditions concouraient à sa disparition et comment limiter
les dégâts qu'il cause maintenant à l'écosystème
forestier?
"C'est une occasion inespérée qui m'est offerte
avec la Chaire de recherche CRSNG-Produits forestiers Anticosti
en aménagement intégré des ressources forestières.
Je reçois un très bon financement - 2,6 millions
de dollars sur cinq ans provenant à parts égales
du CRSNG et de la compagnie Produits forestiers Anticosti -, je
suis épaulé par une équipe solide (Louis
Bélanger, Claude Camiré, Steeve Côté,
Pierre Morisset, David Pothier, François Potvin et Marcel
Prévost) et nous disposons d'un laboratoire naturel unique
au monde pour réaliser des expériences en écologie
animale. On me donne les moyens de réaliser un projet auquel
je n'avais jamais osé rêver."
Le lancement officiel de cette chaire industrielle a eu lieu hier,
mais les travaux sur le terrain ont débuté cet été
sur la plus grande île du Québec. Ils se poursuivront
jusqu'en 2005 et, par la suite, la Chaire pourrait être
renouvelée par une deuxième phase de cinq ans. "Personnellement,
je me suis engagé jusqu'en 2005 et ensuite, on verra",
commente Jean Huot, avec un sourire énigmatique.
Des kilomètres de clôture
De prime abord, la création d'une chaire industrielle
sur le chevreuil est plutôt incongrue. Mais, pour qui connaît
bien la situation actuelle du cerf de Virginie et de la forêt
sur Anticosti, il est facile de comprendre en quoi il est urgent
d'investir en recherche sur l'île: c'est une question de
survie écologique et économique. "Anticosti
représente un cas extrême où une population
d'herbivores constitue à la fois une ressource majeure
pour le tourisme et pour la chasse et une menace pour l'intégrité
des écosystèmes", explique Jean Huot.
Environ 200 cerfs ont été introduits sur l'Île
entre 1896 et 1900 pour satisfaire les caprices du chocolatier
français Henri Menier, alors propriétaire de ce
vaste territoire, qui voulait en faire un domaine de chasse. Faisant
fi de tous les préceptes de l'écologie animale,
les cerfs se sont reproduits comme des lapins pour atteindre 180
000 têtes dans les années 1940. Le cheptel compte
aujourd'hui 120 000 têtes - et autant de bouches! -
qui rasent tout sur leur passage. "Là où il
y a des cerfs, il n'y a aucune strate arbustive sauf de l'épinette
blanche, signale Jean Huot. Ils broutent les jeunes sapins, ce
qui empêche la forêt de se régénérer.
La superficie des sapinières a diminué de 50 % depuis
un siècle sur l'île. Les sapinières qui subsistent
ont maintenant 120 ans et elles sont appelées à
disparaître sous peu. La régénération
de ces vieilles forêts, qui servent de nourriture et d'abri
aux chevreuils, est compromise par les cerfs eux-mêmes."
Afin de respecter les conditions de son contrat d'aménagement
forestier, qui exige la restauration des zones coupées
en sapinières, la compagnie Produits forestiers Anticosti
installe des clôtures de 4 mètres de hauteur autour
des parterres de coupe. Cette année seulement, elle a érigé
deux enclos dont les périmètres totalisent 30 km
de clôture! "Ce n'est pas une solution viable à
long terme, estime Jean Huot. Les travaux de la Chaire devront
conduire à des solutions durables pour concilier le maintien
des populations de cerfs et des sapinières."
L'homme qui a vu l'ours
Spécialiste de l'aménagement de la faune terrestre,
Jean Huot est un touche-à-tout. Sur près de trois
décennies, il a travaillé sur le cerf de Virginie,
bien sûr, mais aussi sur le coyote, le loup, le renard,
le lynx, le caribou, l'orignal, le boeuf musqué, l'ours
noir, le grand pic et l'oie des neiges! "Ces espèces
présentent toutes des problématiques intéressantes,
dit-il. Le fait de diversifier mes sujets de recherche contribue
à maintenir ma motivation."
Son confrère Cyrille Barrette, qui l'a rencontré
pour la première fois à Anticosti en 1975, le qualifie
de chercheur extrêmement méticuleux et exigeant envers
les autres et encore plus envers lui-même et envers la qualité
de ses données. "Ce n'est pas une personne agressante,
mais il sait se montrer excessivement persuasif, ajoute-t-il.
Il est également très relax, il ne se surexcite
jamais, ce qui lui permet de s'adapter à toutes les situations
sur le terrain. Ça explique en partie sa durabilité
comme chercheur."
"J'ai la chance de travailler dans un domaine où les
conclusions de nos travaux ont des applications pratiques qui
changent les façons de faire sur le terrain, dit-il. Dans
le cas de la Chaire, non seulement la compagnie Produits forestiers
Anticosti nous finance, mais elle nous appuie dans nos recherches
parce qu'elle souhaite vraiment appliquer les solutions que nous
allons proposer."
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