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30 août 2001 ![]() |
Un mythe persistant veut que les Beaucerons du 19e siècle
aient vécu dans l''isolement géographique. Or, des
recherches récentes indiquent qu'au contraire cette région,
localisée entre la rive sud de Québec et l'État
américain du Maine, bougeait beaucoup à cette époque.
"La Beauce fut en réalité un important lieu
d'échange et de passage", soutient Pierre C. Poulin,
professionnel de recherche au Laboratoire de géographie
historique du Centre interuniversitaire d'études québécoises
de l'Université Laval. Le 17 août, il prononçait
une conférence sur le sujet lors du 11e Congrès
international des géographes historiens tenu sur le campus.
Selon le chercheur, les Abénakis de la côte est du
Maine franchissent les Appalaches dès le 17e siècle
et remontent la rivière Chaudière jusqu'à
Québec pour y rencontrer les missionnaires. L'année
1736 voit l'établissement des premières seigneuries
françaises en Beauce. Une vingtaine d'années plus
tard, le missionnaire récollet Justinien Constant donne
son nom à une route très difficile aménagée
à travers forêts et marécages - la route Justinienne
- reliant
Lévis au coeur du pays beauceron. Il s'agit de l'embryon
de la future route Québec-Maine.
En 1807, un Allemand se porte acquéreur, au coût
de 550 livres, d'une seigneurie beauceronne. Le premier quart
du 19e siècle voit aussi l'arrivée de protestants
de langue anglaise qui s'installent au sud, dans les vallonnements
des Appalaches. La petite municipalité d'Armstrong possède
encore aujourd'hui un ancien cimetière où sont enterrées
plus de 100 personnes aux noms exclusivement britanniques.
À l'été 1864, plus de 2 000 personnes travaillaient dans les mines de la vallée de la Chaudière
En 1838, deux criminels américains emprisonnés à
Québec s'évadent grâce à un comparse.
Ensemble, ils demandent à un marchand de Saint-Henri, un
ancien contrebandier, de les aider à rejoindre la frontière
des États-Unis. Cet homme connaît toutes les routes
et tous les marchands de chevaux de Beauce. "Il ne leur a
fallu que deux jours pour se rendre au Maine, indique Pierre C.
Poulin. Cela contredit légèrement le discours sur
l'isolement de la Beauce à l'époque."
Un va-et-vient transfrontalier
Dans son rapport de paroisse annuel envoyé à
son évêque en 1854, le curé de Saint-François
(aujourd'hui Beauceville), F.-X. Tessier, se dit incapable de
chiffrer les familles qui ont quitté pour les États-Unis
dans l'année, ni les nouvelles familles arrivées
dans le même temps. Il ne peut non plus dire le nombre de
jeunes gens qui ont quitté temporairement, entre autres
pour travailler en forêt ou aux récoltes. "Impossible,
écrit-il, de le constater à moins que l'on fasse
la visite de la paroisse plusieurs fois dans l'année, car
ils voyagent continuellement aux États-Unis."
À l'est de Beauceville se trouve Saint-Simon-les-Mines,
un nom qui n'est pas sans rappeler la ruée vers l'or qui
s'est déroulée dans la région à la
même époque. En 1863, les frères Poulin et
leur neveu trouvent 72 onces d'or en une journée. Trois
ans plus tard, Robert Kilgour découvre la plus grosse pépite
de la ruée: 52 onces. "Cette ruée vers l'or
illustre le mieux la relation entre la route Québec-Maine
et ses usagers, explique Pierre C. Poulin. La route ne servait
pas qu'à aller vendre ses récoltes aux marchés
de Lévis ou de Québec. À l'été
1864, plus de 2 000 personnes travaillaient dans les mines de
la vallée de la Chaudière. Seulement sur la rivière
Gilbert, où furent trouvées les premières
pépites, il y avait 500 personnes. La Beauce était
devenue en quelque sorte le centre du monde. On ne peut parler
d'isolement dans ce contexte."
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