23 août 2001 |
De tout temps, la nature a inspiré les artistes. Et cette relation particulière n'est pas près de s'éteindre si l'on en juge par le contenu de deux expositions présentées jusqu'au 26 août par deux finissants de la maîtrise en arts visuels de l'Université Laval. Installé dans une salle des Ateliers du roulement à billes, Félix Bédard propose La cime, une projection de photographies appuyée sur une bande sonore et que complètent une demi-douzaine de diptyques photographiques exposés aux murs. Le contenu de l'exposition se veut un vibrant réquisitoire contre le mode d'exploitation des forêts au Québec. Pour sa part, Marie-Didace Doyon, installée pour l'occasion à la Galerie des arts visuels de l'Édifice La Fabrique, présente Les îles invisibles, un ensemble de sept tableaux que complètent un livre d'artiste et une série de papiers altérés. Fait de paysages imaginaires, le contenu de cette exposition propose une sorte d'itinéraire en terre inconnue, comme une incitation au voyage.
Altérations et moisissures
Marie-Didace Doyon expose des oeuvres qu'elle a réalisées
à Venise où elle vient de passer huit mois dans
une école internationale d'art graphique grâce à
une bourse du gouvernement italien. "Même avant de
partir du Québec, rappelle-t-elle, je travaillais sur les
thèmes de la dégradation de la matière, des
altérations du papier,de la rouille et de la moisissure.
J'ai retrouvé là-bas des lieux à l'image
de mes préoccupations artistiques car tout se dégrade,
les murs, l'eau, etc. Quand je suis partie, j'avais l'impression
que mes oeuvres et la ville étaient complètement
entremêlées."
Venise est non seulement plus grise que le reste de la péninsule
italienne. C'est aussi une ville différente au rythme lent,
une sorte de monde irréel où l'on suit constamment
le mouvement de l'eau qui nous environne. À cause de cet
environnement particulier, chaque tableau de l'artiste apparaît
comme une île, un paysage flottant aux couleurs lumineuses
incitant à une rêverie attentive. L'esthétique,
quant à elle, procède de la transparence et laisse
entrevoir des mondes cachés et secrets, ou bien des mises
en scène fluides de l'imaginaire.
Les tableaux-paysages de Marie-Didace Doyon, semblables aux événements
atmosphériques, s'offrent dans une palette tirant sur le
bleu avec beaucoup de rouge tirant sur les teintes de rouille.
Le livre d'artiste, intitulé Sentiers battus, regroupe
une série de lithographies dont le format - de longues
bandes horizontales - n'est pas sans rappeler la forme du paysage
se déroulant dans l'axe horizontal. Sur les pages, l'artiste
a inscrit des mots ou des phrases qui sont autant de petites considérations
sur la nature.
Si les tableaux sont peints avec une variété de
matériaux dont la cire, l'acrylique, l'huile ou le pastel,
les papiers altérés sont le résultat de recherches
sur les phénomènes de rouille, de moisissure, de
l'eau qui abîme, dissout, corrode, ronge, décompose.
Dans le cours de ce travail, l'artiste a gratté, effacé,
usé, sali. "Décomposition égale disparition,
dit-elle. C'est le côté éphémère
du temps qui passe et qui détruit. Le souvenir qu'on peut
avoir de quelque chose devient toujours transformé par
le temps et ce que l'on vit."
L'horreur boréale
Par le recours à la couleur, au son et à la
technologie - il utilise notamment un ordinateur et un projecteur
numérique -, Félix Bédard a décidé
de donner une sorte de nouvel élan, de nouvelle approche
à la photographie documentaire sociale. Sa projection comprend
une trentaine de photos qui occupent la moitié droite des
images projetées, la moitié de gauche étant
réservée à des citations de personnalités
publiques pertinentes à la thématique. Certaines
images reviennent à quelques reprises avec un cadrage plus
serré qui permet d'aller chercher davantage de détails.
Un travail d'élagage similaire se fait parallèlement
du côté texte, la citation qui se répète
raccourcissant au gré des photos pour se limiter aux mots
les plus significatifs.
"J'ai choisi des paroles que je trouve contradictoires ou
un peu ridicules, explique Félix Bédard. Par exemple,
le ministre des Ressources naturelles du Québec, Jacques
Brassard, qui, réagissant au film documentaire L'erreur
boréale, affirme que la thèse défendue
dans le film est complètement fausse, que la forêt
n'est pas saccagée et qu'elle est en bonne santé.
Tandis que les mots disparaissent peu à peu, on voit à
côté une quantité phénoménale
d'arbres fraîchement abattus."
L'étudiant exploite aussi cette interaction dans ses diptyques,
des ensembles de deux photographies grand format à jet
d'encre apparaissant l'une à côté de l'autre
sur le même support. L'une de ces juxtapositions représente
l'intérieur d'une usine de sciage, baignant dans la lumière
des néons, et un bouquet d'arbres inondé de soleil
dans la forêt.
La bande sonore ne contient aucune musique. On n'entend que des
voix de bûcherons enregistrées en forêt et
des bruits de scies mécaniques à l'oeuvre. Il y
a aussi le bruit d'un camion chargé de billes roulant sur
un chemin forestier. Tout comme la couleur, l'emploi de sons pris
sur le terrain ajoute au réalisme.
"L'esthétisme ne fait pas partie de ma démarche,
indique Félix Bédard. Je ne fais pas de la belle
photo. Je veux plutôt mettre en évidence des choses
qui parlent par elles-mêmes."
La salle d'exposition des Ateliers du roulement à billes
est située à la porte 336 de la rue Sainte-Hélène,
à Québec, à deux pas de l'Édifice
La Fabrique. Les heures d'ouverture sont de 13 h 30 à 16
h 30. Quant à la Galerie des arts visuels, elle est située
au 255, boulevard Charest Est, à Québec. Heures
d'ouverture: la semaine, de 9 h 30 à 16 h 30 et la fin
de semaine, de 13 h 00 à 17 h 00.
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