24 mai 2001 |
Une bonne proportion des étudiants en foresterie "virerait
la cabane à l'envers", s'ils avaient la chance de
diriger le ministère des Forêts pendant 24 heures.
Pas Evelyne Thiffault. "Les structures actuelles de gestion
de la forêt québécoise sont bonnes, estime-t-elle.
Il s'agirait seulement de mieux les utiliser, de faire preuve
de plus de transparence et de favoriser la participation de la
population." De son propre aveu, l'étudiante-chercheure
du Département des sciences du bois et de la forêt
n'est pas à la recherche de barricades à abattre.
"Je suis une écologiste convaincue, mais pas une activiste.
Je préfère l'objectivité."
Pourtant, l'automne dernier, Evelyne Thiffault est "allée
au bâton" au nom des étudiants de foresterie
dans le dossier du dépôt à neige du campus.
La direction de l'Université envisageait alors de couper
une partie du boisé situé près du Casault,
pour y installer un dépôt à neige. Le projet
avait soulevé un mouvement de protestation, ponctué
de trois manifestations. La dernière, sans lien direct
avec les étudiants de l'Université, avait conduit
à l'arrestation de six personnes. "Les manifestations,
c'est spectaculaire, mais en bout de ligne, ça ne change
pas grand-chose, constate-t-elle. Par contre, par leurs actions
dans les ministères et dans les entreprises, les ingénieurs
forestiers ont le pouvoir de faire évoluer la gestion de
la forêt québécoise."
Changer le monde
Le désir de changer les choses occupe une place centrale
dans la quête de cette étudiante-chercheure, dont
les allures sages tranchent avec le franc-parler. Au cours des
deux prochaines années, les 50 000 $ que lui rapportera
la bourse Julie-Payette lui donneront les moyens de poursuivre,
par le biais de la recherche, sa patiente entreprise de changement.
Evelyne Thiffault compte au nombre des 24 étudiants canadiens
à qui le CRSNG vient d'attribuer l'alléchante bourse
créée l'année dernière pour encourager
le leadership et l'excellence. Seuls les quatre meilleurs étudiants
de son secteur sont sortis gagnants du rigoureux processus de
sélection. Sa moyenne cumulative de 4,28 (sur 4,33) pendant
ses études de baccalauréat, lui a donné un
sérieux avantage sur ses quelque 1 600 concurrents. "Une
moyenne comme celle-là, on ne voit ça qu'une fois
par siècle", souligne Marius Mignault, directeur de
programme à la Faculté de foresterie et de géomatique
(FFG).
Mais Evelyne Thiffault est beaucoup plus qu'une "grosse moyenne
cumulative". Au cours de son bac, elle a été
présidente de l'Association des étudiants en foresterie,
présidente de la Semaine des sciences forestières
et représentante étudiante au sein de différents
comités dont la section régionale de l'Ordre des
ingénieurs forestiers du Québec, l'Institut forestier
du Canada et le Comité de programme d'aménagement
et environnement forestiers de la FFG. "J'ai profité
du cadre universitaire pour m'impliquer socialement, ce qui m'a
permis d'aller chercher une meilleure formation que si je m'étais
contentée de me laisser porter par la vague en assistant
à mes cours", précise-t-elle. Cette implication
sociale était d'abord motivée par la curiosité
et le désir d'apprendre: "Je voulais savoir ce que
c'était qu'être gestionnaire." Cette expérience
lui a révélé le côté obscur
du pouvoir: les responsables d'association étudiante "ramassent
souvent le chialage de tout le monde", dit-elle. Dans le
dossier du boisé du Casault, l'indifférence des
étudiants et l'attitude de la direction de la Faculté
et de l'Université l'ont laissée amère. "On
ne parvenait pas à parler à qui que ce soit pour
faire valoir notre point de vue. Ça a été
une expérience très frustrante."
Grâce à la bourse Julie-Payette, l'étudiante-chercheure Evelyne Thiffault poursuivra sa patiente quête: changer le monde forestier, en douceur
Le professeur Michel Dessureault, qui l'a côtoyée alors qu'il occupait le poste de doyen, a gardé d'elle l'image d'une personne qui s'impose par son intelligence, son charisme, son efficacité et sa forte personnalité plutôt que par ses coups de gueule. "Elle est excessivement brillante, elle perçoit bien les enjeux et elle a le don de laisser la porte ouverte au dialogue dans des situations qui pourraient devenir conflictuelles. Elle demeure toujours calme et très réaliste face à ce qu'il est possible d'obtenir, sans pour autant s'écraser devant l'autorité. Tout cela participe à son intelligence."
Tel frère, telle soeur
L'intérêt d'Evelyne Thiffault pour la foresterie
a germé dans un sol peu fertile - Thetford Mines -
grâce, en bonne partie, aux influences familiales. Son père,
ingénieur géologue mais aussi propriétaire
de boisés, lui répétait souvent que "les
ingénieurs mènent le monde". Le message a porté
puisque son frère aîné, Nelson, et elle ont
tous deux opté pour le génie forestier. "Lorsque
j'étais au cégep, je venais parfois assister aux
cours de mon frère. J'ai aussitôt aimé l'ambiance
de la Faculté et la luminosité du pavillon. La foresterie,
c'est un bon compromis entre le génie et l'environnement."
Cet été, elle rejoint son frère, maintenant
au doctorat, dans l'équipe d'Alison Munson. "On se
ressemble beaucoup, dit-elle. On aime les mêmes choses.
Je dis parfois, pour rire, que c'est l'homme de ma vie!"
Celui-ci n'est pas embêté par le fait que sa petite
soeur marche dans ses pas. "J'ai toujours aimé partager
avec elle ce que je vivais et lui ouvrir de nouveaux horizons.
C'est agréable parce que ce qui la motive le plus, c'est
le plaisir d'apprendre afin de pouvoir améliorer les choses.
C'est une perfectionniste et une idéaliste qui est très
exigeante envers elle-même et envers les autres. Elle déteste
par-dessus tout l'incompétence et l'injustice."
Croire
Après la maîtrise, les plans d'avenir d'Evelyne
Thiffault se font plus flous. Entre la carrière universitaire
et l'entreprise privée, son coeur balance. "Les professeurs
universitaires ont une influence plus globale sur la société,
mais l'ingénieur qui travaille pour une compagnie a une
influence directe sur la façon dont la forêt est
gérée. Les deux peuvent faire évoluer les
choses."
Les révélations troublantes du film L'erreur
boréale de Richard Desjardins - "un bon film,
quoiqu'un peu alarmiste, qui a réussi à ébranler
le monde forestier", juge-t-elle - ne l'ont pas rendu allergique
à l'idée de travailler pour une compagnie forestière:
"Je crois qu'il est possible de changer les choses mêmes
au sein d'une entreprise." Et si jamais les intérêts
d'un éventuel employeur privé entraient en conflit
avec ses valeurs d'ingénieure forestière? "Notre
code de déontologie est clair là-dessus: si je ne
crois pas à quelque chose, je ne suis pas tenue de le faire.
Je préfère croire que mes convictions seraient respectées
par l'entreprise. Je veux y croire."
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