5 avril 2001 |
MALBOUFFE ET ESPÉRANCE DE VIE
"Comment la malbouffe a-t-elle pu faire augmenter
l'espérance de vie?" Telle a été la
question fort simple que m'a adressée un producteur agricole
à la suite des récents reportages de l'émission
Le Point sur la qualité des aliments produits par
lui et ses pairs. Bien sûr, il sait que l'alimentation n'est
pas seule en cause dans sa propre longévité mais
il en a aussi posé d'autres, toutes aussi intrigantes les
unes que les autres. Avant de vous les soumettre, j'aimerais bien
vous le présenter car il m'a dit être un peu intimidé
par les médias.
De fait, il n'est pas "président de", n'a pas
d'attaché de presse ou de "contacts" bien ancrés
dans ce milieu. Il dit aussi être déconcerté
et ne pas toujours savoir utiliser les bons mots pour expliquer
à ses concitoyens que, bien qu'il se sente responsable
de ce qui arrive, c'est plutôt en tant que coupable qu'il
se sent appelé à comparaître et tout seul
en plus. Il faut dire que cet agriculteur est plutôt d'accord
avec le fait qu'il faille établir un nouveau contrat social
avec ses concitoyens, il voudrait donc pouvoir en débattre
et, avant tout, être entendu. Il se demande quand même
comment il pourrait suivre sans broncher son ex-président
de l'UPA, Jacques Proulx, devenu porte-parole officiel de la ruralité
quand il n'y a pas si longtemps, il l'avait convaincu, avec une
toute aussi sage argumentation, de le suivre dans les sentiers
du libre-échange et de la mondialisation. Mais en ce moment
il n'a pas besoin de porte-parole pour le convaincre que si sa
campagne est malade, il faut y voir.
Il voudrait souligner que "oui, l'agriculture québécoise
est toujours une affaire de famille" mais je partage avec
lui le fait que, derrière ce leitmotiv un peu fourre-tout
se cache une fragmentation, voire une crise, de l'identité
du métier d'agriculteur et de l'exploitation agricole.
En effet, "l'agriculteur exploitant la ferme familiale centenaire"
se retrouve à côté de "l'entrepreneur"
qui, lui, côtoie "l'intégrateur" et "l'artisan
féru du terroir" qui, à son tour, voit venir
le retour du "paysan" ou du néo-rural nostalgique
d'une campagne bucolique où il faisait bon respirer le
bon foin coupé à la place de l'ensilage. Il aurait
voulu ajouter que, lorsqu'il avait choisi l'agriculture, il y
a quarante ans, certains notables qui s'en étaient bien
sortis lui avaient fait sentir que ce métier était
réservé à ceux qui n'avaient pas voulu s'instruire.
"C'est bizarre, dit-il , parce que quand mon garçon
a choisi d'étudier au cégep pour devenir exploitant
agricole, le conseiller en orientation lui a dit qu'il avait les
capacités pour faire autre chose que ça!
Tu vois c'est le ça qui fait mal: l'image du gros
bras pas de tête qui, tout imbécile qu'il est, a
quand même réussi à quintupler la productivité
de l'agriculture en trente ans. En plus, on est pollueur, subventionné
"à' planche", gêné de dire ce qu'on
fait en public et de se présenter comme tel auprès
des filles à courtiser parce que, bien évidemment,
on va être obligé de se justifier pis là
on empoisonne le monde qui lève le nez sur des carottes
croches et qui me fait la leçon quand je les laisse sur
le champ". Bien que mon producteur se laisse un peu trop
facilement emporter - que voulez-vous, il aime son métier!
- on peut quand même se demander comment en est-on arrivé
là.
Ce producteur agricole a raison d'être inquiet au sujet
du climat de dialogue qui tend à s'instaurer entre lui
et ses concitoyens. Mais ce que nous oublions tous facilement,
c'est que le système qui a été mis en place
depuis les années cinquante pour répondre à
la demande croissante de produits agricoles a si bien réussi
qu'il est aujourd'hui victime de son succès: il n'est pas
durable, il répond aux besoins du présent
en compromettant la capacité des générations
futures à répondre à leurs propres besoins.
La construction d'un modèle agricole durable nécessite
cependant que la société, les pouvoirs publics et
"le consommateur-roi" fassent l'examen de conscience
qui s'impose, "avec" le secteur agricole et non "contre".
Les arguments sont peu convaincants ? Sachez que le 7 février,
le ménage moyen aura gagné suffisamment d'argent
pour payer son épicerie pour toute l'année et, plus
important encore, le 8 janvier ce même ménage aura
payé la part de l'agriculteur sur la facture d'épicerie.
On parle beaucoup de durabilité mais comment arriver à
l'exprimer au plan des exploitations et des localités?
Bien qu'il y ait eu, ces dernières années, des volontés
concrètes du milieu agricole de reconnaître la nécessité
de protéger l'environnement, nous en sommes souvent restés
au renouvellement des ressources physiques; il y a eu peu de débats
autour de ce que pourraient être les principes directeurs
d'une exploitation agricole durable, non seulement au plan des
ressources de production mais aussi en tenant compte du lien avec
les milieux local et régional et des multiples fonctions
de l'agriculture qui sont autant de produire de la nourriture
que d'entretenir le territoire, de créer de l'emploi et
de reproduire les ressources. En France, la multifonctionnalité
commence à être reconnue dans les politiques agricoles
et de développement régional. Ici, il y a du chemin
à faire et pas seulement par les agriculteurs.
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