22 mars 2001 |
Si le réchauffement climatique anticipé devait
se produire, les orignaux du Sud du Québec risquent de
trouver le temps long et chaud. C'est ce que suggère une
étude que vient de réaliser l'étudiant-chercheur
Christian Dussault dans le parc de la Jacques-Cartier. Grâce
à des technologies d'inspiration militaire, s'apparentant
par moments à de l'espionnage high-tech, le chercheur a
démontré que l'orignal modifiait considérablement
son comportement lors des journées chaudes et humides d'été.
"En conditions normales, les orignaux sont surtout actifs
le jour, signale-t-il. Par contre, lorsque les conditions météorologiques
provoquent de l'inconfort et un stress thermique, les orignaux
évitent les plans d'eau et les jeunes peuplements forestiers,
où ils trouvent habituellement leur nourriture, de façon
à ne pas s'exposer directement au soleil. Ils se réfugient
à l'ombre, dans les forêts matures, et ils deviennent
plus actifs pendant la nuit."
L'étudiant-chercheur a estimé que le pourcentage
d'activité nocturne augmentait de 50 % lors des journées
chaudes (le rapport "activité nocturne/activité
diurne" passe de 0,6 à 0,9). Pour évacuer le
surplus de chaleur, ce cervidé dont l'épais pelage
foncé absorbe l'énergie solaire, doit haleter comme
un Huskie à Miami. "Comme ses glandes sudoripares
sont peu efficaces, il dissipe environ 95 % du surplus de chaleur
par halètement", précise Christian Dussault
. Bien adapté aux conditions froides, l'orignal surchauffe
facilement et halète dès que le mercure dépasse
-5 degrés Celsius en hiver et 14 degrés Celsius
en été.
Ce halètement et le fait que les forêts matures
offrent peu de nourriture à l'orignal amènent le
chercheur à conclure que les comportements de thermorégulation
de l'orignal entrent en conflit avec ses activités d'alimentation
lors des journées chaudes. "Nous avons démontré
que le comportement de cette espèce était affecté
à l'échelle des heures et des jours. Il faudrait
maintenant voir si, à l'échelle de la saison estivale,
cela affecte l'accumulation de réserves nutritives qui
lui servent à passer à travers la période
critique de l'hiver. On pourrait alors mieux évaluer l'impact
d'un réchauffement climatique sur l'orignal."
Orignaux hi-tech
Pour obtenir des données précises sur les allées
et venues de l'orignal dans son habitat, Christian Dussault et
son directeur de thèse, Jean Huot, ont eu recours au GPS
(Global Positioning System). "Ce système de repérage
par satellite a été créé par l'armée
américaine dans les années 1970, explique l'étudiant-chercheur.
Le système, qui fait appel à un réseau de
24 satellites, est opérationnel depuis la fin des années
1980." Les Américains auraient utilisé le GPS
pour la première fois, en situation réelle, lors
de l'opération "Tempête du désert"
Jusqu'à tout récemment, l'armée brouillait
le signal de façon à limiter les usages non militaires
à une précision de l'ordre de 100 mètres.
Le 1er mai dernier, elle a procédé au grand débrouillage
du GPS, offrant du coup une précision de 10 mètres.
"C'est un peu fâchant pour Christian qui venait de
terminer la rédaction d'un article scientifique dans lequel
il expliquait comment traiter le signal pour obtenir une précision
de 10 mètres, raconte Jean Huot. L'article sera quand même
publier pour permettre à ceux qui ont récolté
des données avant cette date d'en améliorer la précision."
Entre mars 1996 et avril 1999, les 30 femelles orignales enrôlées
dans l'étude ont donc reçu un collier très
spécial. Celui-ci comportait un radio-émetteur,
pour localiser l'animal par télémétrie, un
récepteur GPS, pour établir sa position à
heures fixes préétablies (entre 6 et 24 lectures
par jour), un senseur pour estimer son degré d'activité,
et une mémoire pour enregistrer toutes ces données.
Coût de chaque collier: 10 000$. "Sans compter la location
de l'hélicoptère utilisé pour la capture
des animaux", précise Jean Huot.
"La pile de l'appareil et la capacité de la mémoire
permettaient d'accumuler des données pendant environ 12
mois, mais on ne voulait pas attendre aussi longtemps au cas où
il y aurait un problème, signale Christian Dussault. On
récupérait donc les données tous les deux
mois." Comment? Le chercheur survolait le parc en avion,
repérait le signal émis par les colliers et, en
circulant à quelques centaines de mètres au-dessus
de chaque animal, il actionnait une commande activant le téléchargement
à distance des données dans un ordinateur portable.
Les données de position étaient ensuite superposées
à ces cartes écoforestières du parc, de façon
à déterminer les vagabondages des animaux. "Il
s'agit d'une des premières études à utiliser
la puissance du GPS au bénéfice de la recherche
sur les grands mammifères terrestres", avance l'étudiant-chercheur.
Les populations d'orignaux les plus méridionales, notamment
celles du Nord des États-Unis et du Sud du Québec,
seront les premières à pâtir de la hausse
des températures, croient Christian Dussault et Jean Huot.
Un réchauffement climatique pourrait donc forcer un déplacement
vers le nord de cette espèce. D'ailleurs, les deux chercheurs
émettent l'hypothèse que la chaleur pourrait bien
être le facteur qui limite la répartition actuelle
de l'orignal vers le sud. "Ce n'est sûrement pas la
nourriture, estime l'étudiant-chercheur. Et si on regarde
les populations d'orignaux d'Europe et de Russie, on constate
que leur limite méridionale suit à peu près
la même ligne isotherme qu'en Amérique du Nord."
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