15 mars 2001 |
L'anémie est un problème majeur de santé
chez les nourrissons du Nunavik, révèle une étude
qui vient de paraître dans le Canadian Journal of Public
Health. À l'âge de six mois, près de la
moitié des enfants inuits du Grand Nord québécois
souffrent d'anémie et environ le quart ont une sérieuse
carence en fer, ont découvert les chercheurs Éric
Dewailly, de la Faculté de médecine de Laval, et
ses collègues Noreen Willows et Katherine Gray-Donald,
de l'Université McGill.
Les trois chercheurs ont obtenu ces résultats alarmants
en analysant des échantillons de sang prélevés
chez 213 nourrissons inuits lorsque ceux-ci étaient âgés
de deux, six et douze mois. Ils ont ainsi pu suivre l'évolution
du taux d'hémoglobine et de fer dans le sang de ces enfants
pendant toute leur première année de vie, et établir
des liens entre ces données et leur régime alimentaire.
Des répercussions sérieuses
"Les médecins qui pratiquent au Nunavik savaient
qu'il y a un problème d'anémie chez les enfants
inuits, mais aucune étude n'avait encore documenté
l'ampleur du phénomène, pas plus que ses causes",
souligne Éric Dewailly. Les carences en fer peuvent avoir
des répercussions sérieuses chez les jeunes enfants,
notamment au plan du développement intellectuel. Le taux
d'anémie observé au Nunavik dépasse amplement
le taux "normal" de 2,5 % rapporté chez les enfants
vivant dans une population qui n'a pas de carence en fer.
Le type d'anémie dont souffrent les jeunes Inuits provient
d'une déficience prolongée en fer, estiment les
chercheurs. Il peut provoquer des retards dans le développement
psychomoteur et des problèmes d'apprentissage. De plus,
il prédispose à l'absorption de plomb par l'organisme
lorsque les conditions du milieu s'y prêtent. C'est le cas
au Nunavik où les chasseurs utilisent des cartouches de
plomb, dont les éclats sont parfois consommés avec
la viande du gibier. "Le plomb provoque lui aussi des problèmes
de développement et il empêche l'absorption de fer,
ce qui accentue l'anémie. C'est une spirale infernale.
C'est pourquoi la prévention des carences en fer est essentielle
chez ces enfants afin de minimiser l'absorption de plomb",
insiste Éric Dewailly.
Effet protecteur
Les enfants inuits courent trois fois plus de risque de souffrir
de carence en fer s'ils ne sont pas allaités au sein. La
baisse du pourcentage d'enfants allaités, qui passe de
59 % à la naissance à 30 % à l'âge
de douze mois, s'accompagne d'ailleurs d'une hausse du taux d'anémie
pendant la première année de vie. Étonnamment,
l'anémie progresse pendant la première année
en dépit du fait que le pourcentage d'enfants qui consomment
de la viande augmente graduellement, passant de 10 %, à
l'âge de deux mois, à 97 %, à l'âge
de douze mois. "La quantité de viande consommée
par les enfants était peut-être insuffisante pour
modifier leurs réserves de fer", avancent les chercheurs.
Considérant la prévalence élevée d'anémie
chez les enfants inuits de six mois, les chercheurs proposent
la mise en place d'un programme de dépistage systématique
de l'anémie infantile au Nunavik. "Il faudrait également
encourager les parents à donner des aliments solides riches
en fer (viande et céréales enrichies) à leurs
enfants dès l'âge de quatre à six mois. Enfin,
il faudrait faire la promotion de l'allaitement maternel et décourager
le recours au lait de vache maternisé, faible en fer, au
moins jusqu'à ce que les enfants aient atteint l'âge
d'un an", suggère Éric Dewailly.
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