8 mars 2001 |
Le Canada est riche en matières premières, mais
surtout en matière première intellectuelle, et il
doit exporter davantage ses idéaux de justice, fait valoir
Louise Arbour, juge de la Cour suprême du Canada. Nombreuses,
en effet, sont les références aux décisions
de la Cour suprême du Canada dans une foule de pays comme
l'Angleterre, l'Afrique du Sud, l'Australie, les États-Unis
et Hong-Kong, a rappelé l'ancienne procureur en chef des
tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et
le Rwanda, lors d'une conférence présentée
le 1er mars par l'Institut québécois des hautes
études internationales.
Si les tribunaux étrangers se sont référés
à la plus haute cour du Canada sur des sujets comme la
responsabilité civile, le droit administratif et les droits
des autochtones, Louise Arbour estime que c'est sans aucun doute
la jurisprudence canadienne en matière des droits et libertés
garantis par la Charte, qui a constitué "l'apport
le plus remarquable de la Cour suprême à la réflexion
internationale en matière de droits fondamentaux ".
"Dans le contexte du droit criminel, la Cour suprême
a souvent servi de guide sur des sujets fondamentaux tels la présomption
d'innocence, et sur les limites qu'il est possible d'apporter
aux droits individuels dans le cadre d'une société
libre et démocratique", a déclaré Louise
Arbour, qui
a ainsi convié le Canada à profiter du rayonnement
de sa jurisprudence et de son poids diplomatique à l'étranger
pour exercer son leadership dans la promotion et l'exportation
du droit pénal sur la scène internationale. Ce type
de droit, qui se trouve au confluent du droit privé et
du droit public, explique-t-elle, est un forum pertinent ou la
société exprime ses valeurs et calibre les mécanismes
de contrôle de l'abus de pouvoir par l'autorité.
"Il semble donc naturel que cet engagement se traduise maintenant
par une contribution intellectuelle et matérielle, démesurée
si nécessaire, au développement de la justice",
a-t-elle dit.
La mondialisation des droits
Il ne fait aucun doute qu'on assiste maintenant à une
"mondialisation des droits" selon la magistrate qui
a passé trois ans à la tête du Tribunal pénal
international (TPI) de La Haye, où elle a poursuivi quelques-uns
des plus puissants chefs politiques et militaires suspectés
de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. "On
assiste à une revendication de plus en plus concrète
des droits fondamentaux, de la part de ceux qui ne s'étaient
jamais auparavant vraiment perçus comme des détenteurs
de droits", affirme-t-elle.
Cinquante ans après la Déclaration universelle des droits de l'homme et ses diverses conventions sur le génocide et la torture, la justice pénale internationale quitte la phase des droits déclaratoires pour entrer dans celle des droits appliqués
Ainsi, 50 ans après la Déclaration universelle des droits de l'homme et ses diverses conventions sur le génocide et la torture, la justice pénale internationale quitte la phase des droits déclaratoires pour entrer dans celle des droits appliqués. "Dans ce contexte, les tribunaux canadiens se sont avérés un forum des plus sollicité et des plus observé au sein duquel des revendications sociales et politiques importantes et controversées se sont affrontées, a déclaré Louise Arbour. Cette nouvelle identité canadienne nous situe donc sur la plaque tournante des attentes internationales quant à l'explosion des revendications des détenteurs de droits humains fondamentaux ". Elle croit donc que la justice pénale canadienne est exportable, mais pas nécessairement dans ses formules, dans la minutie de ses règles et procédures, ni même dans certaines de ses caractéristiques fondamentales ancrées dans la Constitution. Elle l'est plutôt "dans sa conception profonde de la responsabilité, de la transparence et de l'égalité."
Vers une cour pénale internationale permanente?
Lorsque Louise Arbour est arrivée à La Haye
en octobre 1996, une paix fragile dans les Balkans s'installait
à la suite du pire conflit qu'ait connu l'Europe depuis
la Seconde Guerre mondiale. Réunir des preuves de culpabilité
n'était pas, alors, une priorité, mais elle a contribué
à faire changer les choses.
L'ex-procureur général du TPI est surtout connue
pour avoir émis des mandats d'arrêt contre le président
yougoslave Slobodan Milosevic et quatre de ses proches collaborateurs,
considérés comme responsables de dix années
de guerre et de nettoyage ethnique dans les Balkans. C'est la
première fois qu'un mandat d'arrêt était délivré
contre un chef d'État en fonction.
Le tribunal, qui avance trop lentement aux yeux des victimes,
est sans doute allé plus loin que ne l'avaient jamais imaginé
les gouvernements des grandes puissances, a soutenu la juge Arbour.
Il a aussi fait évoluer le droit, en reconnaissant pour
la première fois les violences sexuelles comme crime contre
l'humanité. "C'est une victoire non négligeable",
a-t-elle souligné.
La juge canadienne a noté que l'instauration partielle
de ces types de tribunaux, plutôt que la mise sur pied d'une
Cour pénale internationale comme l'a proposé le
Traité de Rome, donne parfois l'impression que la communauté
internationale est injuste envers certains peuples, qui se croient
les seuls sous surveillance étrangère. Elle demeure
cependant confiante quant à l'instauration de cette cour
internationale permanente et a indiqué qu'une trentaine
d'États avaient déjà donné leur aval
au projet qui nécessite l'appui de 60 États.
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