18 janvier 2001 |
"Qajartalik" et "Kaapehpeshapishinikaanuuch".
Ces expressions pittoresques, à consonance autochtone,
désignent deux sites rupestres québécois
situés respectivement au Nunavik et en Jamésie.
Le 18 décembre dernier, un professeur d'archéologie
au Département d'histoire, Daniel Arsenault, s'est servi
de ces sites comme exemples lors de sa conférence publique
prononcée à l'Université Laval dans le cadre
du 21e Colloque du Centre d'études nordiques.
En langue inuit, le mot "Qajartalik" signifie "Là
où il y a un kayak". Il désigne une sorte de
crevasse contenant des affleurements de stéatite. L'emplacement
est situé sur une île dénudée au large
du détroit d'Hudson, au-dessus de la baie d'Ungava. À
cet endroit, au début des années 1960, un anthropologue
de l'Université Laval, Bernard Saladin d'Anglure, a dénombré
94 figures gravées dans la pierre. Des "visages de
diables sur les rochers", au dire des habitants de la région.
En 1996, Daniel Arsenault, accompagné de ses collègues
Louis Gagnon et Daniel Gendron, a effectué la première
de ses trois visites sur le site. Un autre voyage est prévu
pour cet été.
Une galerie très ancienne
À ce jour, plus de 170 figures ont été
répertoriées. Elles représentent uniquement
des visages vus de face. Ces pétroglyphes ont une forme
rectangulaire, ovale ou ronde, ou bien ils s'apparentent à,
ou épousent la forme d'une poire, d'un pichet ou d'un bouclier.
Leur expression est habituellement paisible, parfois agressive.
La plupart ont entre 10 et 30 centimètres de hauteur. Selon
les spécialistes, ces gravures pourraient remonter à
un millier d'années. Les paléoeskimos du temps,
appelés Dorsétiens, extrayaient de la stéatite
pour en faire des récipients, tels que des lampes à
huile.
Daniel Arsenault avance l'hypothèse d'un principe d'échange
de biens symboliques. "Dans un emplacement considéré
comme sacré, dit-il, on a pu laisser une figure après
avoir fait un prélèvement de matière première."
Le site a pu aussi servir de lieu d'initiation sous la gouverne
d'initiés, d'aînés. Certains visages, qui
ont un air plus animal qu'humain, renforceraient cette hypothèse.
Il y a aussi ce surprenant effet d'apparition et de disparition
des pétroglyphes selon le moment de la journée,
effet que provoquent les ombres projetées par le soleil
dans son déplacement. "Des guides rituels ont pu amener
des novices au site, suppose le professeur Arsenault, et, tout
à coup, des visages surgissaient de la pierre pour les
impressionner."
Des traits parallèles
En langue crie, le vocable "Kaapehpeshapishinikaanuuch"
veut dire "Sur ce rocher, il y a des figures peintes permanentes".
Les figures en question, au nombre d'une centaine et tracées
à l'ocre rouge, mesurent entre 10 et 15 centimètres
de long. Elles ornent les parois flanquant l'entrée d'une
petite grotte ainsi que l'intérieur, sur un énorme
rocher en forme de dôme qui domine un lac, à proximité
de la rivière Rupert.
Daniel Arsenault a vu ce site rupestre pour la première
fois en 1997. L'endroit recèle de nombreux traits verticaux
ou obliques tracés en parallèle, ainsi que des motifs
à plusieurs branches. Les éléments plus figuratifs,
quoique très schématiques, comprennent notamment
un canot avec des personnages assis à l'intérieur.
D'après la tradition orale crie, les guides spirituels,
les chamans, se rendaient jadis à ce site dans le but d'entrer
en contact avec des entités surnaturelles.
Selon le professeur Arsenault, ces tracés digitaux présentent
une grande qualité de conservation grâce à
la silice laissée par le passage des eaux de pluie. Cette
matière minérale forme une surface polie sur laquelle
a été appliqué le pigment d'ocre. La silice
provenant des eaux de pluie subséquentes a alors recouvert
de façon progressive la matière picturale.
La datation des tracés au carbone 14 n'a pas encore été
effectuée. On sait cependant qu'un autre site rupestre
de la même famille linguistique, découvert il y a
quelques années sur la Côte-Nord, remonte vraisemblablement
à 2 200 ans.
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