30 novembre 2000 |
"Comment construire l'avenir sans oublier le passé,
mais en refusant de s'y embourber?", a demandé Jocelyn
Létourneau, professeur titulaire du Département
d'histoire et conférencier, le mardi 21 novembre au pavillon
Charles-de-Koninck, dans le cadre des activités du Cercle
de réflexion politique et sociale. Se référant
au titre du premier chapitre de son plus récent livre,
il a répondu: "Il faut se souvenir d'où l'on
s'en va."
Publié aux Éditions du Boréal, l'ouvrage
Passer à l'avenir - Histoire, mémoire, identité
dans le Québec d'aujourd'hui, constitue un essai original
et percutant qui renouvelle le débat sur le thème
apparemment inépuisable de l'identité québécoise.
Reconnaissance et distance
Selon Jocelyn Létourneau, il faut être reconnaissant
aux ancêtres, mais il faut aussi se distancer d'eux, les
honorer mais également être critique envers la tradition.
Chez bien des Québécois d'héritage canadien-français,
la notion de passé collectif rime avec ressentiment et
"victimisation". Or, cette représentation pessimiste
a de moins en moins d'écho dans les travaux des historiens.
Pour un, Jocelyn Létourneau rejette la thèse du
complexe de la survivance. Il s'inscrit donc en faux contre l'historien
Gérard Bouchard selon qui le Québec, à l'instar
de Porto Rico, formerait une "collectivité manquée"
puisqu'il n'a pas su devenir une république souveraine.
Pour Jocelyn Létourneau, il faut rejeter ce "discours
de misère" et les notions d'"empêchement
d'être", d'"avortement collectif" et de "nation
inaccomplie" qu'il colporte. Non, les ancêtres canadiens-français
ne sommeillaient pas dans "une espèce d'incapacité
d'être au monde". "On peut voir le sujet canadien-français
sous un jour beaucoup plus positif, soutient-il, comme un acteur
très actif et très habile ayant su manoeuvrer avec
et contre l'Autre, parfois perdant, parfois gagnant."
Une lente reconquête
Sans minimiser les pressions qui ont et qui continuent d'influencer
le parcours des Canadiens-français/Québécois,
Jocelyn Létourneau insiste sur l'originalité de
ce parcours et sur la "réussite relative" de
ce groupe dans sa longue, continue et paisible reconquête
de son espace.
Selon lui, ce parcours a été marqué par l'ambivalence,
à la recherche d'une position politique optimale entre
deux pôles identitaires que le groupe a toujours refusés:
l'assimilation à la majorité anglophone et la marginalisation
dans la petite vallée du Saint-Laurent. Deux autres pôles
définissent cette identité collective: l'utopie
de la refondation (par l'indépendance politique) et l'utopie
de la continuité (par le maintien du lien fédératif).
Entre ces refus et utopies se trouverait un espace de tensions
que Jocelyn Létourneau qualifie de "risque politique
calculé", une possibilité d'épanouissement
que la collectivité canadienne-française/québécoise
a su exploiter au maximum. Risque calculé et réformisme
tranquille, telle serait la ligne politique tenue par ce groupe
depuis la Conquête.
Avec, comme assise, cette réalité multipolaire,
Jocelyn Létourneau estime que la condition québécoise
peut sans contradiction rechercher une "complétude
canadienne". En ce sens, le concept de souveraineté-partenariat,
qui exprime on ne peut mieux l'ambivalence d'être des Québécois
francophones, lui apparaît très porteur. Dans son
livre, il souligne le côté rebelle, et non révolutionnaire,
des Canadiens-français/Québécois avant d'affirmer
qu'il n'y a pas d'opposition entre l'ambivalence et l'épanouissement,
voire le dépassement.
Ambivalence, ambiguïté, dissonance, équilibre
instable, tensions et récupération caractérisent
le parcours historique des Québécois d'héritage
canadien-français. Ces notions sont aussi au coeur de la
vision du monde de Jocelyn Létourneau. Un monde qu'il se
représente par les sculptures trouées d'Henry Moore
ou les structures mobiles d'Alexander Calder. "C'est une
position qui accueille l'équivoque des choses et de la
vie, dit-il. J'irais jusqu'à dire qu'il s'agit d'une position
d'espérance qui intègre cette idée selon
laquelle tout n'est jamais complètement joué et
que l'humain a cette capacité de faire, avec l'histoire,
autre chose que ce que l'histoire a fait de lui."
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