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16 novembre 2000 ![]() |
"En partant, il était clair que je ne ferais pas
mon doctorat la pédale au plancher. Lorsque j'ai commencé,
ma fille avait neuf mois. Une deuxième est née en
cours de doctorat. J'ai comme maxime que je ne "tripperai"
pas sur mes petites-filles parce que je n'aurai pas vu mes filles
petites."
Son doctorat en géographie urbaine, l'étudiante
Nicole Brais l'a entrepris en 1992. Quelque huit années
plus tard, soit le 22 novembre prochain, elle fera sa soutenance
de thèse. Dans l'intervalle, elle aura partagé son
temps entre sa famille, ses études, le travail et l'engagement
social. Depuis 1993, elle siège à la commission
Femmes et Ville, un organisme consultatif composé d'élus
et de citoyennes créé par la Ville de Québec.
"La Ville, dit-elle, a une approche intéressante vis-à-vis
la condition féminine."
Le parcours particulier de Nicole Brais lui fait dire que le milieu
universitaire fait fausse route en encourageant les étudiants
et étudiantes de troisième cycle à boucler
leurs études le plus rapidement possible. Selon elle, il
y a une forme de rayonnement universitaire à être
à l'extérieur des campus, en contact avec ce qui
bouge, surtout pour des étudiants de sciences humaines.
"Dans la mesure de mes activités, souligne-t-elle,
je crois avoir contribué personnellement à ce rayonnement
parce que j'ai toujours été présente dans
le milieu."
Ville et banlieue
Pour les fins de sa recherche, Nicole Brais a interviewé,
entre 1996 et 1997, 22 couples ayant deux jeunes enfants ou plus.
La plupart dans la trentaine, ils faisaient partie de la classe
moyenne. Les familles vivaient soit à Québec (Limoilou),
soit en banlieue (Val-Bélair). L'étude, conduite
sous l'angle féministe, visait à comprendre la dynamique
au sein des familles entre les hommes et les femmes lors des processus
décisionnels touchant aux sphères familiale, professionnelle
et résidentielle.
Première constatation: ce sont les mêmes facteurs
qui facilitent ou rendent difficile l'articulation vie professionnelle/vie
familiale. Ces facteurs sont l'organisation du travail et la répartition
des tâches familiales. "La conciliation est plus difficile
s'il y a du travail précaire, des horaires atypiques ou
si la participation du conjoint aux soins à la famille
est faible", explique Nicole Brais.
Les tâches familiales demeurent, règle générale,
une responsabilité de femmes. Même que certaines,
qui travaillent à temps partiel, trouvent normal d'en assumer
trop. Les plus critiques sont celles qui travaillent à
temps plein.
Il ressort clairement de l'étude que les femmes rencontrées
souhaiteraient pouvoir mener de front et de manière satisfaisante
leurs activités familiales et professionnelles. Or, l'organisation
du travail, bien souvent, n'offre pas la souplesse nécessaire
pour le faire. Des femmes choisissent donc la précarité
qui va leur apporter cette maîtrise sur le volume et l'horaire
de travail. "Mais il y a un prix à payer, poursuit
Nicole Brais. Certaines se retirent du marché du travail
et s'occupent des enfants le jour. Elles s'achètent un
ordinateur et font du traitement de texte dans leur sous-sol la
nuit. J'ai vu ça."
Selon elle, notre société ne va pas du tout dans
la bonne direction en ce qui concerne l'organisation du travail.
"Pourquoi faut-il que le travail envahisse complètement
nos vies lorsque nous avons de jeunes enfants? demande-t-elle.
Pour moi, la prochaine bataille féministe consistera à
transformer le marché du travail pour que les femmes puissent
y demeurer. Mais pas au détriment de leur vie privée.
Je pense que ce discours rejoint beaucoup les hommes."
L'étude montre que le partage des tâches reste inégal
et très "sexué". Tandis que la femme prend
en charge les responsabilités quotidiennes (ex.: faire
à souper, faire faire leurs devoirs aux enfants), l'homme
s'occupe davantage de tâches périodiques (ex.: sortir
les ordures ménagères, faire le changement d'huile
de l'auto).
De nombreuses femmes en ont contre la "charge mentale",
soit ce travail de gestion, d'organisation et de planification,
qui est à la fois intangible, incontournable et constant,
et qui a pour objectifs la satisfaction des besoins de chacun
et la bonne marche de la résidence. "Au fond, précise
Nicole Brais, les femmes souhaitent que les hommes prennent l'initiative."
Les réseaux de solidarité
Quand ses filles étaient très jeunes, Nicole
Brais, en l'absence de son conjoint, a contacté ses beaux-parents
qui habitent dans la région de Montréal. Elle avait
besoin qu'on l'aide à s'occuper des enfants. Ses beaux-parents
ont dit oui. Cette anecdote lui fait dire que la solidarité
familiale existe toujours. D'ailleurs, sa recherche révèle
que bien des couples, qui fonctionnent selon des horaires atypiques,
font appel aux grands-parents.
Nicole Brais se dit allergique au concept de performance. Elle
rejette aussi l'image de la "superfemme" énergique
et efficace que doivent endosser celles qui aujourd'hui mènent
de front carrière et vie familiale. Selon elle, bien des
femmes dans cette situation voudraient vivre chacun des volets
de leur vie à un rythme moins effréné.
Nicole Brais croit que concilier le travail et la famille aujourd'hui
constitue un tour de force pour une majorité de femmes.
Selon elle, il faut faire de ce dossier un problème de
famille, non de femmes. "Les hommes, conclut-elle, ont un
rôle très important à jouer pour remettre
en question cette organisation du travail qui impose des freins
aux femmes parce qu'elle n'est pas pensée en fonction des
contingences des femmes, donc des maternités."
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