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9 novembre 2000 ![]() |
La société québécoise a un retard
considérable à rattraper en ce qui a trait à
la reconnaissance et à la mise en valeur de son patrimoine
linguistique. C'est le constat auquel en arrive Claude Poirier, directeur du
Trésor de la langue française au Québec,
dans le mémoire qu'il a soumis à la Commission des
États généraux sur la situation et l'avenir
de la langue française au Québec, lors des premières
audiences que cette dernière a tenues à Québec,
les 1er et 2 novembre.
"Les mesures que l'on peut prendre pour la protection de
la langue ou pour l'amélioration de son enseignement seront
toujours insuffisantes en l'absence d'une véritable culture
de la langue", croit le professeur de la Faculté des
lettres pour qui la mise en valeur du patrimoine linguistique
et la construction d'une culture de la langue sont susceptibles
de renforcer l'attachement des Québécois à
leur langue et de contribuer, à moyen terme, à la
solution de divers problèmes auxquels celle-ci est confrontée.
Comme "la situation nouvelle que vivent les universités
rend urgente l'adoption de mesures visant à la protection
et à la valorisation de notre patrimoine linguistique",
Claude Poirier propose trois pistes d'action: assurer la conservation
des fonds traditionnels à valeur patrimoniale, relancer
le programme d'Informatisation des fonds de données linguistiques
et créer un centre institutionnel des archives linguistiques
du Québec.
Statut et qualité
Le professeur du Département de langues, linguistique
et traduction se prononce par ailleurs sur le statut et sur la
qualité de la langue. Au chapitre du statut, il demande
notamment: que soient maintenus dans leur intégralité
les principes énoncés dans la Charte de la langue
française pour la défense et la promotion du français
au Québec; que l'on s'assure, dans l'application de la
Charte, du respect de l'esprit de la loi concernant le droit de
travailler dans sa langue, sans discrimination aucune contre les
unilingues francophones; que les droits linguistiques actuellement
reconnus aux anglophones du Québec ne soient restreints
d'aucune façon; qu'il en soit de même pour l'accès
des francophones aux cégeps de langue anglaise; que l'on
veille à ce qu'aucune mesure (d'initiative privée
ou publique) n'ait pour conséquence de favoriser un bilinguisme
généralisé dans la région de Montréal;
que soit consolidé et accéléré le
travail de francisation des entreprises.
Indissociable de la mise en valeur de la langue, l'amélioration
de la compétence linguistique, "envisagée autrement
que comme une course à obstacles où seuls les manuels
correctifs et les dictionnaires normatifs servent d'ouvrages de
référence", commanderait, aux dires de Claude
Poirier: que l'on prenne les moyens pour que les élèves
aient acquis une compétence suffisante dans la langue maternelle
au terme des études secondaires; que des cours d'élocution
obligatoires soient introduits dans certaines concentrations,
au cégep, et que l'on favorise, de façon plus générale,
l'acquisition de la maîtrise de la langue comme outil de
communication publique; et que soit créé un groupe
de réflexion multidisciplinaire sur la question de la qualité
de la langue, une sorte d'académie composée, entre
autres, de littéraires, d'écrivains, de linguistiques,
de membres d'organismes linguistiques et de spécialistes
de diverses disciplines "académiques".
De la défensive à l'affirmation
L'anthropologue Claude Bariteau a, quant à lui, attiré
l'attention des membres de la commission Larose sur l'importance
du contexte politique qui a vu apparaître les lois linguistiques
québécoises (63, 22 et 101), tout en jetant un regard
critique sur la situation actuelle d'où émerge la
"canadianisation" de la Loi 101.
"L'encadrement de la Loi 101 par la constitution canadienne
en a fait une loi canadienne alors que le déploiement des
politiques linguistiques du Canada, parce qu'il se jouxte à
une pénétration du champ des compétences
provinciales, favorise l'enracinement au Québec du modèle
canadien de société et, avec lui, du bilinguisme
institutionnel que préconisait la Loi 22", juge le
professeur de la Faculté des sciences sociales. À
la suite du référendum de 1980, la démarche
des Québécois en matière de promotion et
de protection de la langue française a, selon lui, quitté
le terrain de la logique des peuples pour emboîter celui
des minorités nationales.
"En fait, seule une approche analogue à celle mise
au point en 1977 (la Loi 101), à l'exception des règles
concernant l'affichage, favoriserait un enracinement de la langue
française, affirme Claude Bariteau. Et cette approche,
comme l'a signalé Marc V. Levine, devra être accompagnée
d'une intervention forte de l'État du Québec en
matière d'immigration et de développement urbain.
J'ajouterai, poursuit-il, qu'une telle intervention doit aussi
trouver des relais à l'échelle internationale dans
le dossier des nouvelles technologies et s'insérer différemment
dans les établissements d'enseignement et le monde du travail
pour atteindre l'objectif recherché."
Une pareille approche présuppose, à son avis, l'indépendance
du Québec, "seul moyen pour mettre en force un équilibre
émanant du Québec et répondant aux attentes
de la population du Québec".
Les grands maux du petit écran
Signalons que d'autres membres de la communauté universitaire
ont déposé un mémoire ou répondu aux
questions des membres de la commission présidée
par l'ex-chef syndicaliste Gérald Larose.
Frédéric Tremblay, vice-président aux affaires
externes de la Confédération des associations d'étudiants
et d'étudiantes de l'Université Laval, a présenté
le mémoire de la CADEUL, intitulé "Pour une
vision unifiée de la langue en éducation" (voir
le Fil du 19 octobre). Invité par la commission,
le professeur Florian Sauvageau, du Département d'information
et de communication de la Faculté des lettres, est venu,
pour sa part, faire état de la dégradation de la
qualité de la langue française dans les médias
du Québec au cours des 15 dernières années,
une dégénérescence, a-t-il constaté,
particulièrement notable à la télévision.
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