9 novembre 2000 |
La flore et la faune, au Québec comme partout au monde, sont menacées par l'explosion démographique et l'activité humaine. Le seul moyen efficace de contrer la disparition en cours d'espèces vivantes consiste à protéger une proportion beaucoup plus importante des milieux naturels. Ce point de vue était au coeur du vibrant plaidoyer qu'a livré le professeur retraité du Département de biologie de l'Université Laval, Jean Bédard, lors du 25e Congrès annuel de l'Association des biologistes du Québec. L'événement, qui avait pour thème "La diversité biologique: enjeux pour la prochaine décennie", s'est tenu à Québec les 2 et 3 novembre au Radisson Hôtel des Gouverneurs.
Une crise familiale
Jean Bédard milite depuis longtemps en faveur des milieux
naturels. En 1979, il fondait la société Duvetnor,
un organisme sans but lucratif voué à la conservation
des îles sauvages de l'estuaire du fleuve Saint-Laurent.
La crise actuelle que traverse la biodiversité mondiale,
il la compare à un sérieux problème de famille.
Il rappelle que l'humain partage des molécules organiques
de base, des gènes et une planète avec les autres
espèces vivantes, espèces dont le nombre se situerait
entre 3 et 30 millions.
Jean Bédard compare en plus la Terre à une "minuscule
cabine pressurisée". Or, ce lieu de plus en plus exigu
amène l'humain à expulser, pour sa propre survie,
un nombre grandissant d'espèces vivantes. "Chez nous,
précise-t-il, ce sont quelques espèces à
la fois. Dans les tropiques, c'est par milliers."
Du chevalier cuivré au béluga, du carcajou au pluvier
siffleur, la faune québécoise possède elle
aussi ses espèces menacées, de même que ses
milieux naturels en péril. "Quelqu'un peut-il me montrer
quelque part une seule sapinière surannée? Une chênaie
digne de ce nom? Un marais à spartines encore intact?"
a demandé Jean Bédard.
Le conférencier estime que les scientifiques en savent
maintenant assez pour passer à l'action. D'autant plus
que la solution est connue. Les synthèses faites sur le
sujet s'accordent toutes pour dire que la protection des habitats
constitue la meilleure façon de sauvegarder la diversité
biologique. Jean Bédard déplore par ailleurs le
"bourdonnement administratif", sous la forme de brochures,
d'études sénatoriales, de réflexions collectives
et de documents synthèses, qui a jusqu'à maintenant
créé l'illusion de l'action au Québec et
au Canada. Il dénonce particulièrement l'"invraisemblable"
plan d'action québécois sur la diversité
biologique qui contient, à ses yeux, des pistes d'action
"toutes aussi farfelues les unes que les autres".
"Quelqu'un peut-il me montrer quelque part une seule sapinière surannée? Une chênaie digne de ce nom? Un marais à spartines encore intact?"
Une règle indéfendable
Quant à la règle selon laquelle il suffit de
protéger 10 % du patrimoine naturel pour assurer la biodiversité,
le conférencier la trouve indéfendable. Des recherches,
menées il y a une quinzaine d'années aux États-Unis
et au Canada, sont sans équivoque: il faut une superficie
énorme pour permettre à la dynamique entière
d'un écosystème de se perpétuer. En d'autres
mots, plus un parc naturel est petit (inférieur à
20 000 kilomètres carrés), plus l'appauvrissement
en espèces sera rapide et important.
Dans ce contexte, Jean Bédard croit que l'intention récente
du gouvernement québécois, de faire passer d'ici
2005 les milieux naturels protégés de 2,8 % à
8 % du territoire, constitue un "inqualifiable marchandage"
entre "homo sapiens industrialis" et les autres espèces
vivantes. Il s'insurge en particulier contre la contradiction
que représente la vocation de découverte et de récréation
rattachée à la fonction "sanctuaire" des
futures entités.
Le succès remporté par Duvetnor fait dire à
Jean Bédard qu'il est possible de faire progresser une
cause de belle façon. "Hélas, conclut-il, il
faut toujours ramer à contre-courant, en perpétuelle
réaction à des pouvoirs obstinés, aveugles
et sans vision." Les "parcelles dérisoires"
de forêt ainsi que les "misérables tronçons
de rivières" concédés avec beaucoup
de réticence par les papetières et par Hydro-Québec
illustrent l'ampleur de la tâche qui attend ceux et celles
qui croient à la diversité biologique.
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