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2 novembre 2000 ![]() |
Réinventer le sens de l'être et de l'avoir, créer
une culture de l'évaluation des connaissances et des technologies,
réinventer le temps et l'espace, concevoir des règles
mondiales pour éliminer les droits de propriété
intellectuelle pour le vivant, enfin réaffirmer la valeur
des symboles, dont celui de la filiation, voilà les recommandations
formulées par le président de l'Université
européenne de l'environnement, l'Italien Riccardo Petrella,
dans le discours qu'il a prononcé le 21 octobre à
l'hôtel Hilton Québec. Ce discours clôturait
le 12e Colloque annuel de la Société canadienne
de bioéthique, un événement organisé
par l'Université Laval.
Politologue et économiste, fondateur du Groupe de Lisbonne,
Riccardo Petrella soutient que l'humanité a franchi une
étape fondamentale dans sa longue quête pour la maîtrise
de la matière. Après avoir compris l'atome, après
avoir conçu des matériaux qui n'existent pas dans
la nature, nous sommes maintenant capables de créer le
vivant, une prérogative associée de tout temps à
la divinité. Sur ce point, le conférencier a référé
à la déclaration du 26 juin dernier du président
américain Bill Clinton, laquelle portait sur la mise au
point finale de la carte du génome humain: "Aujourd'hui,
nous apprenons le langage qui a permis à Dieu de créer
la vie."
La mutation de la nature et de l'humain
Pour Riccardo Petrella, nous sommes entrés dans la
civilisation du "post-humain", une ère de mutation
de la nature et de l'humain dont le cyberespace, avec son commerce
électronique, ses amitiés électroniques,
etc., constitue l'une des expressions les plus éclatantes.
Cela dit, le conférencier dénonce l'"impératif
technologique" qui veut que tout ce qui est techniquement
possible doit être fait, sous prétexte qu'on ne peut
arrêter le progrès technologique si l'on veut assurer
le progrès humain. Selon lui, "les dieux que nous
sommes devenus" n'auront d'autre choix que d'être des
sages.
Riccardo Petrella déplore que les règles du jeu
en matière d'investissements en science et technologie
appartiennent de moins en moins aux décideurs politiques
et de plus en plus à ceux qui détiennent le capital
financier industriel. Selon lui, nous assistons actuellement à
un processus extensif et intensif de "marchandisation"
de la connaissance et du vivant. "Cette "marchandisation",
dit-il, nous a permis de "féodaliser" l'eau,
les aliments, les semences végétales et humaines,
de la fécondation in vitro jusqu'au clonage. Nous
sommes devenus des consommateurs du vivant."
Un avenir autre que celui du "post-humain"?
Riccardo Petrella croit possible un avenir autre que celui
du "post-humain". Ce futur doit, selon lui, s'inspirer
de deux principes: la réappropriation de l'humain par l'humain
et la "répatrimonialisation" de la nature. Selon
le conférencier, il nous faut devenir les artisans du respect
de l'autre. "Pourquoi, demande-t-il, investissons-nous des
milliards dans des infrastructures de soins palliatifs qui visent
à prolonger la vie de quelques heures, alors que 1,4 milliard
de gens n'ont pas accès à l'eau? Pourquoi n'investissons-nous
rien du tout pour permettre à la vie de s'affirmer? Il
faut réinventer le sens: c'est ça la sagesse d'une
société. Mais pour cela, il faut reconnaître
l'existence de l'humanité-monde."
Une enquête récente a démontré que
les travailleurs américains dorment de moins en moins et
prennent de moins en moins de temps pour manger. "Nos sociétés
qui se sont dites créatrices de vie sont en train de perdre
la maîtrise du temps, de le réduire à zéro,
explique Riccardo Petrella. Nous sommes des "chronophages".
Nous n'avons plus le temps de penser, d'évaluer, de discuter
ensemble. Nous sommes en train de perdre la mémoire de
la vie pour construire une espèce de vie artificielle de
plus en plus "technodéterminée". Or, une
société "temps zéro" est une société
"zéro". Même chose pour l'espace."
Lueur d'espoir? Une soixantaine de municipalités italiennes
ont formé récemment un réseau de "villes
lentes" où l'on veut "vivre le temps" sans
courir.
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